La Révolution et la Guerre d’Espagne
l’appareil
du parti et les cercles politiques. Depuis longtemps ils sont dressés l’un
contre l’autre, tempéraments et personnalités opposés certes, mais aussi deux
forces distinctes, deux visages de l’Espagne et du socialisme espagnol dont l’antagonisme
sera un des principaux éléments du drame politique.
Né lui aussi, en 1883, dans une famille très humble, Prieto
a commencé dans la vie à 11 ans en vendant journaux et épingles dans les rues
de Bilbao. Sa brillante intelligence l’a fait remarquer du banquier et
industriel Horacio Echevarrieta qui en fait son homme de confiance. Bientôt il
est propriétaire du grand journal El Liberal ,dirigeant
socialiste et homme politique écouté de toute la gauche.
L’ambassadeur Bowers l’a décrit, intervenant aux Cortes, «
petit, corpulent, à peu près chauve, sauf au-dessus de la nuque... Il s’impose
tout de suite par le dynamisme de son éloquence ». Il évoque successivement «
sa voix, sonore et nuancée », mais aussi « toutes les armes de son éloquence :
esprit, ironie, sarcasme, humour, invective, mimique» [44] .
Koltsov le montre, dans son fauteuil, « énorme masse de
chair avec un pâle regard ironique... le regard le plus attentif d’Espagne » [45] . Son intelligence
souple et brillante, sa réussite sociale – il est devenu un remarquable homme d’affaires
– ses dons exceptionnels d’orateur parlementaire, son talent de polémiste, en
font le socialiste des milieux républicains comme son patient travail d’organisation
et son labeur acharné ont fait de Caballero celui des « Maisons du
Peuple » et des ouvriers. A l’austérité, l’intransigeance, au sectarisme
castillan du plâtrier madrilène Caballero, Prieto oppose le libéralisme des
milieux d’affaires, la réussite du self made man, le réformisme
conciliant des syndicalistes de Bilbao, infiniment plus proche de l’esprit des
sociaux-démocrates occidentaux, et, en tout cas, des républicains d’Espagne.
Aussi est-ce un parti socialiste profondément divisé qui va
affronter les difficultés de l’année 1936. Prieto, depuis la fin de 1935,
contrôle l’exécutif du parti : il a la confiance des cadres et des élus,
notamment des prestigieux dirigeants des mineurs asturiens, Gonzalez Peña et
Belarmino Tomas. Il est l’« homme de l’appareil ». Mais en face de
lui, Largo Caballero est « l’homme des masses ». Il contrôle l’U.G.T.,
bénéficie de larges sympathies à l’extérieur du parti, et notamment, malgré de
vieilles rancœurs, d’un préjugé favorable au sein de la C.N.T. Le parti oscille
sous leurs deux influences contradictoires et chaque problème nouveau semble
fournir l’occasion d’un règlement de comptes entre ces frères ennemis
poursuivant, dans la même organisation, des politiques opposées.
C.N.T. et U.G.T.
Le reclassement politique qui s’opère dans les rangs des
partis et syndicats ouvriers dans les derniers mois de la République rend
difficile une analyse exacte des forces en présence: Il est pourtant
incontestable que, plus que les organisations politiques proprement dites, ce
sont les syndicats qui donnent le ton : la vie de l’ouvrier gravite autour
des Casas del Pueblo et des Bourses du Travail, centres de vie
collective, qui sont les véritables forteresses de classe.
Or, dans cette dernière période, le rapport de forces entre
l’U.G.T. et la C.N.T. se modifie, les lignes de clivage entre les deux
syndicats se dessinant de façon parfaitement nouvelle. Certes, chacune conserve
ce qui était jusque-là son bastion. C’est la C.N.T. qui organise les ouvriers d’industrie
en Catalogne et l’U.G.T. n’y a qu’une existence réduite. C’est aussi la C.N.T.
qui organise les braceros d’Andalousie. Mais l’U.G.T. domine toujours
chez les mineurs des Asturies et du Rio Tinto, les métallos de Bilbao et dans
la région de Madrid. Dans les zones où domine l’autre, chaque centrale est
parvenue cependant à organiser de fortes minorités dont l’influence n’est pas
négligeable. L’U.G.T. compte des organisations solides à Cordoue, Séville,
Malaga, dans toutes les villes d’Andalousie. C’est elle qui organise les
journaliers des provinces de Badajoz, Caceres, Séville. La C.N.T. est parvenue
à prendre pied à Madrid, où elle contrôle la majorité des ouvriers du bâtiment,
une des corporations les plus combatives. Et aux Asturies, les métallos C.N.T.
de La Felguera et de Gijon sont
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