La Révolution et la Guerre d’Espagne
comment ses qualités feraient du général Franco un chef tout désigné
pour un tel mouvement [57] et adjure les travailleurs de s’abstenir de tout ce qui pourrait le provoquer.
Le discours de Cuenca est incontestablement un programme
gouvernemental. El Sol ,journal républicain bourgeois, le salue
comme celui d’un véritable homme d’État, compare Prieto à Aristide Briand,
socialiste devenu, lui aussi, « réaliste ». Mais ce programme de
réformes progressives et prudentes dans le cadre du capitalisme, ne rencontre
que peu d’écho dans les masses que la fièvre révolutionnaire pousse tous les
jours à de nouvelles actions [58] .
Les amis de Largo Caballero considèrent en revanche ce
programme comme une trahison ouverte, dénoncent dans les propos de Prieto une
apologie de Franco. Les passions montent : déjà menacés à Cuenca, Prieto
et ses amis Gonzalez Peña et Belarmino Tomas sont accueillis à Ecija par des
coups de feu tirés par les Jeunesses socialistes et n’échappent que de justesse
à la mort.
C’est dans ces conditions que l’exécutif du parti socialiste
renvoie au mois d’octobre le Congrès national d’abord prévu pour le 29 juin. Le
1 er juillet, la presse fait connaître le résultat des élections au
comité exécutif du parti socialiste – d’avance boycottées, contestées et
dénoncées par la tendance Largo Caballero – : les amis de Prieto triomphent,
Gonzalez Peña est élu président, Jimenez de Asua vice-président et Ramon
Lamoneda secrétaire du parti. La scission semble désormais inévitable.
Le terrorisme contre-révolutionnaire de la Phalange
Dans une intervention aux Cortes, le 16 juin, Gil Robles
énumère des chiffres officiels, significatifs de l’ambiance du pays depuis les
élections : 269 tués et 1 287 blessés dans des bagarres de rues, 381 bâtiments
attaques ou endommagés, 43 locaux de journaux attaqués ou saccagés, 146
attentats à la bombe. Ces chiffres, incontestables, ne peuvent être imputés,
comme le voudrait Robles, aux seuls révolutionnaires. Depuis févriers, en
effet, sous l’impulsion de la Phalange se développe une action systématiquement
contre-révolutionnaire. C’est dans la rue, comme en Allemagne et en Italie, que
la Phalange revêt son caractère fasciste avec le plus de netteté : il s’agit de
briser par la violence et la terreur le mouvement ouvrier et révolutionnaire,
de s’attaquer aux locaux des partis et aux vendeurs de journaux, aux meetings
et aux défilés, d’assassiner quand cela parait nécessaire pour éliminer un adversaire
ou faire un exemple salutaire. Les phalangistes sont passés à la lutte armée
dès le lendemain des élections. A Madrid les voitures chargées d’escuadristas munis d’armes automatiques sèment la terreur dans les quartiers ouvriers.
En Andalousie, les pistoleros à leur solde abattent chaque jour de
nouvelles victimes. L’objectif est double : il s’agit en même temps d’éliminer
l’adversaire de classe, militant ou journaliste « marxiste » ou anarchiste ou
celui qui les aide, juge ou policier, et de créer une atmosphère telle que les
amis de l’ordre ne voient finalement d’autre solution que de remettre le sort
du pays entre les mains d’une dictature. La désillusion née de la défaite
électorale entraîne bien des conservateurs à renoncer aux perspectives « légales »
et à passer à l’action directe. Les progrès de la Phalange sont foudroyants à
partir de février : le flot des mécontents de droite vient grossir ses rangs. C’est
vers elle que se tournent les jeunes du parti de Gil Robles, les Juventudes
Accion popular que dirige à ce moment Ramon Serrano Suñer.
Quoiqu’il ne soit pas possible à l’historien de situer en
toute certitude la responsabilité de crimes rarement signés, c’est plus que
vraisemblablement à la Phalange et à ses pistoleros que sont dus
certains des attentats les plus célèbres : l’attentat manqué à la bombe
contre Largo Caballero et celui contre le républicain Ortega y Gasset, celui
qui coûte la vie à l’inspecteur chargé de protéger le vice-président socialiste
Jimenez de Asua ; l’explosion, le 14 avril, d’une bombe sous la tribune
présidentielle pendant le défilé ; celle qui détruit le local du journal
socialiste d’Oviedo ; les nombreux assassinats politiques, celui du
journaliste Casaus à Saint-Sébastien, du socialiste Malumbres à Santander, celui
du juge Pedregal, coupable
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