La Révolution et la Guerre d’Espagne
article,
Largo Caballero martèle la même affirmation : « La révolution que nous
voulons ne peut se faire que par la violence... Pour établir le socialisme en
Espagne, il faut triompher de la classe capitaliste et établir notre pouvoir...
». Il s’est prononcé pour la « dictature du prolétariat » [55] qu’il entend
faire exercer, non par l’intermédiaire des soviets – quel que soit le nom qu’on
leur donne – mais par et à travers le parti socialiste. Lui et ses partisans
attendent que les républicains aient fait preuve de leur incapacité à résoudre les
problèmes de l’Espagne, pour prendre le pouvoir. Mais comment le prendront-ils
? C’est ce qui n’est pas très clair. Le 14 juin, à Oviedo, il invite les
républicains à s’en aller, à « laisser la place à la classe ouvrière »,
mais il semble impensable que le président Azaña puisse lui confier un jour la
direction du gouvernement. Il entend instaurer la dictature du prolétariat par
le parti socialiste, mais c’est Prieto qui contrôle l’exécutif du parti :
comment Largo Caballero espère-t-il la prise du pouvoir du prolétariat par l’intermédiaire
d’un parti dont l’appareil lui échappe ? Bien des historiens sont sévères à son
égard – Gérald Brenan dit qu’il est un « social-démocrate qui joue à la
révolution » [56] .
Salvador de Madariaga pense que c’est la peur que provoque la violence de ses
partisans qui rend possible la naissance du fascisme. En affirmant si souvent
que les travailleurs n’ont pas à modérer leur action révolutionnaire de crainte
d’un coup d’État militaire, il fait que beaucoup lui prêteront l’arrière-pensée
que seul un tel coup d’État, en obligeant le gouvernement à armer les
travailleurs, lui ouvrirait la route du pouvoir...
En juin, en tout cas, devant l’imminence du pronunciamiento
militaire, il ira demander à Azaña d’armer les travailleurs : preuve, sans
doute de sa bonne foi, mais aussi d’une certaine naïveté. Lénine, le Lénine
russe, n’eut sans doute pas fait, du moins dans les mêmes formes, la démarche
du « Lénine espagnol » …
Les efforts de Prieto
C’est son rival socialiste, Prieto, qui porte contre Largo
Caballero les accusations les plus graves. Pour lui, grèves, manifestations,
désordres, revendications excessives relèvent d’un « révolutionnarisme
infantile » qui fait le jeu du fascisme en effrayant les classes moyennes.
Les prédictions des intellectuels de Claridad ,les manifestations
des Jeunesses en uniforme, les résolutions enflammées en faveur d’un «
gouvernement ouvrier » et d’une « armée rouge » n’ont comme résultat
que d’aggraver la peur des possédants et des bien-pensants dont l’imagination,
dès qu’il est question de révolution, se repaît d’images passionnelles
suggérées par dix-huit années de propagande anticommuniste sur la terreur des
tchékas, les bolcheviks-au-couteau-entre-les-dents, les massacres et les
famines qui furent le lot de la Russie de 1917. Pour Prieto, cette peur les
conduira au désespoir et ils se jetteront dans les bras des généraux.
Tandis que le 1 er mai, à Madrid, Largo Caballero
joue les chefs de la Révolution, Prieto fait à Cuenca un discours retentissant.
A l’anarchie génératrice du fascisme qu’est en train, selon lui, de préparer
son rival, il oppose ce qu’il appelle la « révolution constructive ». La
première tâche raisonnable et possible, à ses yeux, est la constitution d’un
gouvernement de coalition : aux côtés des républicains, les socialistes y
auraient pour mission de « rendre indestructible le pouvoir des classes
laborieuses ». Il faut une réforme agraire profonde et bien menée,
accompagnée d’un plan d’irrigation des campagnes et d’une industrialisation
possible seulement dans un cadre capitaliste, qui permettra d’absorber l’excédent
des populations rurales. C’est pourquoi les travailleurs ne doivent pas élever
de revendications qui soient susceptibles de briser une économie capitaliste
incapable de les satisfaire. Dans le meilleur des cas, s’ils arrivaient quand
même à vaincre l’inévitable réaction armée de l’oligarchie, ils n’aboutiraient
finalement qu’à « socialiser la misère ». Hypothèse moins
vraisemblable d’ailleurs, aux yeux de Prieto, que l’autre : un coup d’État
militaire préventif qu’il faut s’efforcer d’éviter. Le leader socialiste
indique
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