La Révolution et la Guerre d’Espagne
bien, avec cet inconvénient qu’ils
ne savent pas toujours comment organiser une administration et réaliser une
gestion meilleure que l’ancienne » [127] .
Six mois après la révolution, l’économie espagnole se débat
dans de terribles difficultés. Il sera alors courant d’entendre accuser l’« anarchie »
des « collectivisations » et des « syndicalisations », l’
« incompétence » des nouveaux dirigeants improvisés. Tout n’est pas
faux dans ces réquisitoires. Mais il faut, pour porter sur les réalisations
révolutionnaires une appréciation équitable, ne pas négliger le poids terrible
de la guerre. Car les conquêtes révolutionnaires des ouvriers espagnols ont eu,
dans les premiers mois, des conséquences importantes et profondément
significations. Les principes nouveaux de gestion, la suppression des
dividendes ont permis une baisse des prix effective ; celle-ci n’a,
finalement, été annulée que par la hausse vertigineuse des matières premières,
qu’une économie capitaliste n’aurait pas pu non plus éviter, dans des
conditions semblables. La mécanisation et la rationalisation, introduites dans
de nombreuses entreprises, réclamées dorénavant par les travailleurs eux-mêmes,
ont augmenté de façon considérable la productivité. Les ouvriers ont consenti
dans l’enthousiasme des sacrifices énormes parce qu’ils avaient, dans la
plupart des cas, la conviction que l’usine leur appartenait et qu’ils
travaillaient – enfin ! – pour eux-mêmes et leurs frères de classe. C’est
véritablement un souffle nouveau qui est passé sur l’économie espagnole avec la
concentration des entreprises éparpillées, la simplification des circuits
commerciaux, tout un édifice considérable de réalisations sociales pour les
vieux travailleurs, les enfants, les invalides, les malades et l’ensemble du
personnel.
La grande faiblesse des conquêtes révolutionnaires des
travailleurs espagnols est, plus encore que leur improvisation, leur caractère
inachevé. Car la révolution, à peine née, doit se défendre. C’est la guerre qui
réduira en miettes les conquêtes révolutionnaires avant qu’elles n’aient eu le
temps de mûrir et de faire leurs preuves dans une expérience quotidienne faite
de reculs et de progrès, de tâtonnements et de découvertes.
De la révolution à la guerre civile
Si l’on en croit plusieurs historiographes nationalistes, le
général Mola, au soir du 20 Juillet, juge perdue la cause des rebelles et ne
poursuit le combat que parce qu’il n’est plus maître des requetes et des
phalangistes qu’il a mis en mouvement. En fait, ce pessimisme s’expliquerait :
le pronunciamiento a été écrasé dans les régions les plus importantes, les
centres industriels et commerciaux à Madrid et dans sa région, dans la partie
la plus active du Nord, aux Asturies et au Pays basque, sur toute la côte
orientale. En outre, la contre-offensive des milices ouvrières dans les jours
qui suivent leur victoire dans les centres urbains semble se développer à leur
avantage. Les milices catalanes se lancent à la conquête de l’Aragon et
viennent battre les murs de Saragosse et de Huesca. Les milices madrilènes
arrêtent à Somosierra et Guadarrama la marche des hommes de Mola. Madrid est
sauvée. Quelques jours plus tard, la reprise d’Albacete par des troupes fidèles
et des colonnes miliciennes permet le rétablissement des communications entre
Valence et Madrid. Celle de Badajoz coupé en deux les forces insurgées, prive
Mola de tout secours immédiat de Franco ou Queipo de Llano. La chute des
dernières casernes de Gijon donnera aux ouvriers la maîtrise du plus grand port
de guerre du Nord. La flotte, installée dans la rade de Tanger, contrôle le
détroit et empêche l’arrivée dans la péninsule des renforts de l’armée du
Maroc.
Le rapport de forces militaires
Or les rebelles, dont la situation stratégique est
défavorable, n’ont, sur le plan du matériel et des effectifs, qu’une mince
supériorité. La marine – nous l’avons vu – s’est prononcée contre eux. L’aviation
– peu nombreuse il est vrai – est passée dans le camp populaire. Mola, pour
toute la zone Nord, n’a qu’une douzaine de vieux avions saisis par surprise sur
l’aérodrome de Leon. Certes, les effectifs dont disposent les généraux sont
plus nombreux. Rabasseire les estime à 15 000 officiers, sous-officiers,
38 000 légionnaires et
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