La Sibylle De La Révolution
réduit. Quant à
Saint-Germain, je pense avoir une idée de l’endroit où le trouver. Qu’en
penses-tu, chère Sibylle ?
Pour la première fois, la jeune
femme parla. Elle avait retrouvé toute son assurance :
— Sans doute la même chose que
toi, citoyen. Il est des lieux où il se produit des choses étranges.
Vadier approuva :
— Exact. Le Comité a appris que
certains soirs, autour de la tombe du grand Jean-Jacques, se réunissaient
d’étranges assemblées. On parle de pierre philosophale, de diamants à profusion,
d’immortalité. Rien de vraiment sérieux, il faut bien que les esprits faibles
et contre-révolutionnaires oublient un instant la mort inévitable qui les
attend en ces temps de purification républicaine. Vous vous y rendrez le plus
rapidement possible.
Il parlait de la tombe de
Jean-Jacques Rousseau. Robespierre avait récemment décidé de transporter ses
restes au Panthéon et la Convention avait approuvé ce projet. Où était-il
enterré déjà ? Mais oui ! Ce jardin extraordinaire conçu à partir des
visions du grand philosophe. Il était à Ermenonville, soit à douze lieues de
Paris.
Vadier leva la tête :
— Tu m’as compris, citoyen. Tu
te rendras là-bas dès ce soir avec ta charmante et si judicieusement perspicace
compagne. En toute discrétion, bien entendu. Il est hors de question qu’on
repère en toi le secrétaire rédacteur. Tu changeras d’habit. Prends quelque
chose d’élégant, les gueux ne fréquentent pas ces jardins.
Et il ajouta en pouffant, comme
s’il s’agissait d’une bonne plaisanterie :
— Tes deux fidèles gardes du
corps t’accompagneront, mais en retrait. Ils n’interviendront qu’au moment
judicieux. Ne t’inquiète pas pour cela.
Ainsi, Vadier ne lui faisait
confiance que jusqu’à un certain point. D’ailleurs, en se relevant, le
conventionnel lui jeta un regard perçant.
— Ne me déçois pas, citoyen,
j’ai placé beaucoup d’espoirs en toi et je déteste me sentir lésé. Tu sais
combien il est facile d’être dénoncé et de se retrouver devant ses bourreaux.
Va, maintenant, et tiens-moi étroitement informé des suites.
La voiture menée par quatre
chevaux avait voyagé la plus grande partie de l’après-midi sur la route
d’Ermenonville. L’équipage ne possédait aucun signe distinctif car il fallait
agir discrètement. Même Lepoulet et Duglas avaient dû renoncer à leurs bonnets
rouges et à leurs piques. Ils avaient revêtu des tenues de cocher avec la plus
mauvaise grâce.
À l’intérieur, alors qu’ils
longeaient le bois de Saint-Laurent, Sénart contemplait avec inquiétude la
campagne picarde. À ses côtés, au contraire, Marie-Adélaïde manifestait un
enthousiasme et une joie de vivre qui lui paraissaient tout à fait déplacés.
Tous deux aussi avaient dû se déguiser ; la jeune femme les avait menés
jusqu’à son petit appartement au 5 de la rue de Tournon. Là, au
rez-de-chaussée, au fond de la cour, il avait découvert un panneau
« Bureau d’écrivain public », avec sur une plaque inscrit :
« Cabinet de correspondance ». Une affiche avait été placardée par-dessus
avec un drapeau bleu blanc rouge : « Fermé jusqu’à nouvel ordre. Par
ordre du Tribunal révolutionnaire. » Elle se contenta de soulever
délicatement le cachet de cire sur la porte et d’entrer.
— Ce n’est donc pas un cabinet
de voyante que tu tiens.
Elle haussa les épaules.
— Ce genre d’activités est
interdit. Il faut donc trouver des subterfuges. Viens.
Il obéit. L’intérieur de
l’échoppe était modeste mais aménagé pour recevoir sa clientèle de crédules.
Teinture rouge sombre, symboles mystérieux dessinés sur les murs ou sur le
plancher, vieux grimoires prétendument ésotériques, simple tabouret à trois
pieds pour la maîtresse des lieux, amples fauteuils de style oriental pour
recevoir, table recouverte de cartes de tarots, d’un crâne de mort, d’un
sablier et de nombreux objets funestes : rien n’était laissé au hasard
pour plonger le visiteur dans la crainte révérencielle de la Sibylle. Elle
avait traversé la pièce avec vivacité pour ouvrir une grande malle posée tout
au fond.
— Il faut t’habiller en
conséquence, citoyen, si tu veux passer inaperçu. Nous ne fréquenterons pas
n’importe quelle compagnie ce soir. Voyons ce que j’ai là.
Elle tira du coffre une tenue
masculine assez extravagante : pourpoint doré, cuirasse argentée,
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