La Trahison Des Ombres
qui lui narrait de sinistres
histoires sur le sombre passé de Melford.
— Quoi qu’il en soit, continua Sorrel, je
ne lui prêtais point attention. Je vous ai dit que les gens jasaient au sujet
des meurtres, des femmes qui avaient disparu. J’estimais que ce n’était pas mes
affaires.
— Jusqu’à la disparition de Furrell ?
— Oui. J’ai compris qu’il n’aurait jamais
pénétré chez quelqu’un. La nuit où il est parti, il ne s’est rendu ni à La
Toison d’or, ni dans aucune autre taverne, aucun estaminet dans
les parages de Melford. Je me suis dit que s’il avait été tué, c’était sans
doute dans la campagne et que son corps avait dû être enterré en secret. J’ai
commencé mes recherches.
Elle se mordit les lèvres.
— Et si on remettait le squelette à sa
place ?
— Dans un moment, répondit Corbett à voix
basse. Reprenez votre récit.
— On ne m’accusera pas ?
— On ne vous en tiendra pas pour
responsable, confirma le clerc. Mais, ajouta-t-il avec une ironie désabusée, j’aimerais
que vous ajoutiez de la chair aux os.
Sorrel rit à cette macabre plaisanterie.
— Furrell était autrefois un bandit. Il
savait tout sur Sherwood et les autres grandes forêts au nord de la Trent.
Il m’expliquait que les truands, s’ils tuaient un voyageur, n’emportaient
jamais le corps bien loin : ils l’enterraient près de la route ou du
sentier où ils avaient tendu leur embuscade. Et les emplacements dont il
voulait que je m’éloigne étaient toujours près d’un sentier ou d’un chemin.
Vous avez vu Devil’s Oak et Falmer Lane, n’est-ce pas ? Si vous étiez un
oiseau, Messire...
Elle ferma les paupières.
— Imaginez que vous êtes un faucon
survolant les champs et les prairies autour de Melford. Allez, fermez les yeux !
Corbett s’exécuta.
— C’est étrange, murmura-t-il. Il ne fait
plus clair ; c’est gris et couvert.
— Bien, approuva Sorrel. Souvenez-vous, à
présent, des champs qui bordent Falmer Lane – ils montent et descendent,
n’est-ce pas ? Les sentiers et les chemins sont profonds, comme des
tranchées dans le paysage. C’est ainsi que Furrell les nommait.
— C’est vrai, c’est vrai, cette vision est
renforcée par les hautes haies.
— C’est l’œuvre des éleveurs de moutons...
Le magistrat rouvrit les yeux.
— Que voulez-vous dire ? l’interrompit-il.
— Un braconnier, répondit-elle, reste
toujours à couvert. Quand il le peut, il se glisse le long d’un fossé ou d’un brise-vent.
C’est une question de bon sens. L’un des côtés est protégé et il préfère ne pas
être surpris en terrain découvert. Connils et faisans agissent de même. La nuit
où mon mari a disparu, il a dû suivre les haies vers un lieu précis pour
rencontrer quelqu’un. C’est sans doute là qu’il a été tué.
Elle réussit à garder une voix ferme.
— Et que son pauvre corps a été enterré.
Bon, ai-je pensé, c’est par là que je commencerai.
— Je vous ai aperçue dans un bosquet bien
loin de Devil’s Oak.
— Patience, dit-elle à voix basse. J’ai
mentionné un chemin que Furrell aurait pu prendre, mais il aimait aussi les
boqueteaux secrets, les bouquets d’arbres cachés. J’ai fouillé les uns et les
autres. La première semaine, Sir Hugh, déclara-t-elle en tapant sur le crâne, j’ai
découvert ceci. Derrière une haie près de Hamden Mere, un emplacement dont
Furrell voulait que je reste éloignée. J’étais curieuse. J’ai creusé, d’un pied
à peine, et suis tombée sur une tombe, à fleur de sol, où avaient été lancés
ces restes. J’ai remarqué la bague, le bracelet et le morceau de ceinture. Je m’apprêtais
à les laisser là-bas, puis j’ai eu des remords. Je cherchais la dépouille du
pauvre Furrell, et ne pouvais donner à ces misérables restes une sépulture
décente ! Je n’ai confiance ni en Blidscote ni en aucun de ces riches
bourgeois. J’ai pensé à aller voir le père Grimstone, mais qui m’aurait crue ?
J’ai pris la bague en guise de salaire, enveloppé le squelette dans un morceau
de cuir et l’ai apporté céans.
— C’était la chapelle, autrefois ? s’enquit
Corbett. Un lieu sacré, à vos yeux ?
— Oui. Plus tard, j’ai regretté mon acte de
miséricorde.
— Pourquoi ?
— J’ai découvert deux autres tombes,
avoua-t-elle.
— Quoi !
— Deux autres tombes ! C’est pour ça
que j’appelle fouine
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