La Traque des Bannis
carquois s’accrocha un bref instant à la roche rugueuse et il dut se tortiller pour le dégager.
Horace aurait adoré cet endroit, songea Will avec ironie alors qu’il s’engageait dans le passage exigu et sinueux qui s’enfonçait dans les ténèbres, avec l’impression que les murs de pierre se pressaient contre lui. Il lutta quelques secondes contre la panique qui s’était emparée de lui et, pour la première fois de sa vie, comprit pourquoi son ami trouvait ce genre de lieu angoissant. Il avança lentement, commençant à craindre une fausse piste qui ne le mènerait nulle part. Puis, tandis qu’il prenait un tournant, il déboucha dans une caverne haute de plafond, de la taille d’une grande chambre. De nombreuses fenteslaissaient filtrer la lumière du jour baissant, à présent sans éclat. Après le tunnel sombre, ce changement était pourtant bienvenu.
Will s’immobilisa sur le seuil, indécis, et parcourut la caverne du regard. Il n’y vit aucun signe de présence humaine ; la luminosité était trop faible pour qu’il puisse examiner d’éventuelles traces sur le sol sablonneux. Il songea à allumer une torche, puis se ravisa. L’obscurité le protégeait. Même une étincelle de sa pierre à briquet pourrait être remarquée à des centaines de mètres à la ronde.
Il pénétra dans la caverne. Ses yeux lui étant peu utiles dans la pénombre, il se servit de ses autres sens pour se repérer : son ouïe, son odorat, ainsi que ce sixième sens qu’il avait développé au fil des années – une conscience instinctive de son environnement qui, par le passé, l’avait maintes fois averti de dangers potentiels.
Il faisait frais dans la grotte, et, contrairement à ce qu’il attendait, l’air n’était pas chargé d’humidité. Les fentes qui procuraient de la lumière devaient aussi permettre d’aérer les lieux. Il pivota lentement sur ses talons, les yeux fermés.
Il entendit des voix.
Une multitude de voix, dont l’intonation montait et descendait. Ce ne pouvait être qu’un chant. Il se dirigea vers ces sons et, à tâtons, découvrit une autre fissure d’à peine un mètre de hauteur. Il se pencha, s’y glissa et se retrouva dans les ténèbres. Il marcha, courbé, le long d’une galerie étroite. Très vite, tandis que le plafond prenait de la hauteur, il put se redresser et avancer sans mal. Au bout de quelques mètres, ce second tunnel, qui ne serpentait pas autant que le premier, parut s’élargir. Will poursuivit sa route, la main toujours contre la paroi la plus proche.
Le chant étouffé se fit plus sonore avant de s’interrompre brusquement. D’instinct, le jeune Rôdeur se figea. Avait-il fait un bruit qui aurait pu alarmer ces gens ? Avaient-ils deviné sa présence ?
Puis une voix s’éleva. Will ne put comprendre ce qu’elle disait, mais il reconnut son timbre et sa cadence. Elle appartenait à un orateur chevronné, qui savait convaincre son public.
Ce n’était pas la première fois qu’il l’entendait.
Tennyson.
Will poussa un soupir soulagé.
— Tu es bel et bien là, chuchota-t-il.
Il avança de nouveau et la voix se fit plus nette. Will put même distinguer un mot souvent répété : Alseiass.
Le faux dieu des Bannis.
À présent, le ton du prophète semblait indiquer qu’il posait des questions à ses auditeurs, lesquels répondaient invariablement : Alseiass !
La galerie prit un léger virage sur la droite et le Rôdeur entrevit soudain une lueur.
Il allongea le pas. Ses semelles de cuir ne faisaient pas un bruit sur le sol sablonneux. Dix mètres plus loin, il atteignit la source de lumière. Devant lui, éclairé par une cinquantaine de torches, il aperçut l’individu que ses compagnons et lui pourchassaient depuis des semaines. Vêtu d’une robe blanche, l’homme bedonnant aux longs cheveux gris était campé sur une roche plate, au centre d’une immense caverne. Il était entouré d’une vingtaine de disciples habillés de la même façon. Un peu plus loin, Will aperçut près d’une centaine de personnes – hommes, femmes et enfants, qui portaient pour la plupart des vêtements de toile grossière. Tous buvaient les paroles de Tennyson. Cette fois, le jeune Rôdeur entendit clairement les questions qu’il lançait à la foule.
— Qui nous guidera hors des ténèbres ? Qui nous conduira vers un âge d’or où régneront l’amitié et la prospérité ? Quel est son nom ?
— Alseiass ! hurla la foule.
Le Rôdeur
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