La Vallée des chevaux
fouillait du regard l’eau du
fleuve. Et il ne fut pas déçu. Une forme énorme et sombre se dirigeait vers lui
en ondulant de la queue – il comprit alors d’où venait l’Haduma que
son frère avait pêchée avec les jeunes Hadumaï.
Pour avoir déjà pêché avec les Ramudoï, il savait que l’eau
modifiait la position réelle du poisson. L’esturgeon était légèrement décalé
une ruse employée par la Rivière pour cacher ses créatures. Quand le poisson
s’approcha de l’embarcation, Jondalar modifia légèrement son angle de visée
pour compenser la réfraction de l’eau. Penché par-dessus le flanc de la
pirogue, il attendit un court instant et lança avec violence le harpon en
direction de l’esturgeon.
Tout aussi violemment, la petite embarcation fut projetée dans
la direction opposée et, se retrouvant dans le sens du courant, elle quitta
aussitôt l’abri de la rive. Jondalar avait bien visé. La pointe du harpon
s’était enfoncée dans la chair de l’esturgeon géant – mais sans lui
faire grand mal. Il n’était nullement hors de combat et filait à toute vitesse
vers le milieu du lit, là où l’eau était plus profonde. La corde se déroula
rapidement, puis se tendit avec une secousse quand il n’y eut plus de mou.
Projeté en avant, Jondalar faillit passer par-dessus bord. Alors
qu’il s’agrippait au flanc de la pirogue, sa pagaie rebondit et tomba dans
l’eau. Comme il se penchait pour essayer de la rattraper, l’embarcation
déséquilibrée manqua de chavirer. Par miracle, l’esturgeon qui se trouvait
maintenant au milieu du courant commença à remonter le fleuve, redressant du
même coup la pirogue et repoussant violemment Jondalar, complètement affolé, au
fond de l’embarcation. Jondalar voyait passer à toute vitesse sous ses yeux les
rives du fleuve. Il se pencha en avant et essaya de donner une secousse à la
corde tendue dans l’espoir de déloger le harpon. L’avant de la pirogue piqua du
nez et celle-ci commença à se remplir d’eau. L’esturgeon se jeta de côté et le
bateau fit de même. Ballotté, secoué, Jondalar se cramponna de plus belle à la
corde.
Il ne remarqua pas qu’il venait de dépasser la clairière où on
fabriquait les bateaux et ne vit pas non plus les gens qui, debout sur le
rivage, le regardaient passer, bouche bée, alors qu’il continuait à tirer des
deux mains sur la corde dans l’espoir de déloger le harpon.
— Vous avez vu ? fit Thonolan. J’ai l’impression que
mon frère a attrapé un poisson volant ! Moi qui croyais avoir tout
vu ! continua-t-il en pouffant de rire. Avez-vous remarqué comme il tirait
sur cette corde dans l’espoir de libérer le poisson ? (Plié en deux à
force de rire, il se tapa sur la cuisse avant d’ajouter :) Ce n’est pas
lui qui a attrapé un poisson mais le poisson qui l’a attrapé !
— Ce n’est pas drôle, Thonolan ! dit Markeno, qui
avait bien du mal à garder son sérieux. Ton frère a des ennuis.
— Je sais. Je sais. Mais toi aussi tu l’as vu, non ?
Remorqué par un poisson en amont du fleuve ! Reconnais qu’il y a de quoi
rire.
Riant toujours, Thonolan aida Markeno et Carlono à mettre un
bateau à l’eau. Quand Dolando et Carolio les eurent rejoints, ils s’engagèrent
sur le fleuve en pagayant le plus vite possible. Les ennuis de Jondalar
pouvaient très bien mettre sa vie en danger.
L’esturgeon commençait à s’épuiser. Le harpon enfoncé dans sa
chair et cette longue course avec son fardeau finissaient par avoir raison de
ses forces. Il était en train de ralentir.
Jondalar en profita pour réfléchir. Il ne savait pas où il
était. Depuis la lointaine traversée en pleine tempête de neige, jamais il
n’était remonté aussi haut. Comment faire pour s’arrêter ? Il eut soudain
une idée : il suffisait de couper la corde.
Il venait de sortir son couteau en silex de son fourreau quand,
brusquement, l’esturgeon, dans un dernier combat mortel, essaya d’échapper au
dard planté dans sa chair. Il se battait avec une telle violence que, chaque
fois qu’il s’enfonçait dans l’eau, il entraînait la pirogue avec lui. Même
retourné, le canoë en bois aurait flotté facilement. Mais rempli d’eau, il
risquait de sombrer au fond du fleuve. Tandis que Jondalar essayait de couper
la corde, le bateau dansait sur l’eau, piquait du nez et était ballotté d’un
côté et de l’autre. Jondalar ne vit pas le tronc qui, poussé par
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