La Vallée des chevaux
le courant,
avançait sous l’eau, jusqu’au moment où celui-ci heurta de plein fouet la
pirogue, lui faisant sauter le couteau des mains.
Le premier instant de surprise passé, Jondalar essaya de tirer
la corde en hauteur pour lui donner du mou afin que la pirogue se redresse.
Dans un dernier effort désespéré pour se libérer, l’esturgeon se précipita vers
la rive et réussit finalement à déloger le harpon. Mais il était trop tard. Le
peu de vie qui lui restait s’échappa par la blessure béante. L’énorme créature
coula au fond de l’eau, puis réapparut à la surface, le ventre en l’air,
secouée par un dernier mouvement convulsif qui témoignait du prodigieux combat
mené par ce poisson des premiers âges.
A l’endroit où le poisson était venu mourir, le fleuve faisait
un léger coude, créant un tourbillon, si bien qu’entraîné par les remous,
l’esturgeon se retrouva dans le bras de décharge, tout près du rivage. Le
bateau suivit le mouvement, ballotté à gauche et à droite, heurtant le tronc et
le poisson qui lui barraient le passage.
Profitant de cette accalmie, Jondalar se dit qu’il avait eu bien
de la chance de ne pas réussir à couper la corde. Sans pagaie, jamais il
n’aurait pu manœuvrer le bateau et il aurait été entraîné par le courant. Le
rivage était tout proche : une étroite plage caillouteuse qui
s’interrompait net après le coude du fleuve pour faire place à une berge à pic,
couverte d’arbres qui poussaient si près du bord que leurs racines étaient à
nu. Peut-être pourrait-il trouver là de quoi fabriquer une nouvelle pagaie. Il
prit une longue inspiration pour se préparer à plonger dans l’eau glaciale et
se laissa glisser hors du bateau.
Le fleuve était plus profond qu’il ne le pensait : il
n’avait pas pied. Quand il sauta dans l’eau, la pirogue changea de position et
fut aussitôt entraînée par le courant. L’esturgeon, lui, se rapprocha du
rivage. Jondalar se mit à nager à la suite du bateau, avançant la main pour
saisir la corde. Mais le léger canoë, rasant à peine la surface de l’eau,
filait trop vite pour qu’il puisse le rattraper.
Le corps tout engourdi par l’eau glacée, il se dirigea vers le
rivage. Arrivé à la hauteur de l’esturgeon, il le saisit par la gueule ouverte
et le hala vers la plage. Après tout le mal qu’il s’était donné pour attraper
ce poisson, il n’était pas question de l’abandonner. Mais l’esturgeon était si
lourd qu’après l’avoir traîné sur quelques mètres, il l’abandonna sur la plage.
« Je n’ai plus besoin de pagaie, maintenant que je n’ai plus de pirogue,
se dit-il. Mais peut-être vais-je trouver un peu de bois pour faire du
feu ». Trempé comme il l’était, il grelottait.
Quand il voulut prendre son couteau, il s’aperçut que le
fourreau était vide. Il se souvint que le couteau lui avait échappé des mains
au moment où il tentait de couper la corde. Et il n’en avait pas d’autre.
Peut-être trouverait-il de quoi fabriquer une drille à feu et une sole, mais
sans couteau il ne pourrait jamais fendre du bois ou récupérer sur les arbres
l’écorce dont il avait besoin pour allumer son feu. Je peux toujours ramasser
du bois, se dit-il.
Il regarda autour de lui et entendit une galopade dans les
fourrés. Le sol était couvert de branches gorgées d’eau et pourrissantes, de
feuilles et de mousse. Pas un morceau de bois sec à la ronde. Jondalar se dit
que s’il trouvait des conifères il pourrait toujours détacher les branches
sèches qui restaient à la base du tronc, mais il n’y avait pas sur les rives du
fleuve de grandes forêts de conifères comme dans la région dont il était
originaire. Subissant moins l’influence des grands glaciers du nord, le climat
était plus doux et plus humide. Au lieu de la forêt boréale, c’était une forêt
de feuillus, caractéristique des régions à climat tempéré.
Jondalar se trouvait dans une forêt de chênes et de hêtres où
poussaient aussi quelques charmes et quelques saules. Au pied de ces arbres à
l’écorce épaisse et brune, ou grise et lisse, pas de petites branches sèches
qui lui auraient permis d’allumer un feu. On était au printemps et tous ces
feuillus bourgeonnaient. Et sans le secours d’une hache en pierre, comment
couper un de ces arbres ? Le corps agité de frissons et claquant des
dents, Jondalar se mit à courir sur place dans l’espoir de se réchauffer.
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