La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
moins qu’elles ne logent à demeure
dans des « maisons de chanteuses », elles restent
attachées à certains cabarets ou restaurants dont
les propriétaires trouvent sans doute avantageux
d’arrondir leurs revenus en permettant aux chanteuses d’attendre les clients dans leur cour. Dans
les maisons de thé les mieux fréquentées de la
ville, il n’y a pas de chanteuses. Au contraire, on
en trouve, à l’étage, dans cinq maisons de thé de
la Voie impériale. Mais, au dire d’un contemporain, ce sont là des lieux bruyants et mal famés
où les honnêtes gens ne se risquent pas 58 .
Quant aux chanteuses de dernière catégorie,
on les rencontre par dizaines sur les marchés et
près des ponts, dans les quartiers populaires.
L’éducation musicale qu’elles ont reçue doit être
assez rudimentaire. On ne les appelle pas ordinairement des « chanteuses » ou des « artistes »,
mais des « fleurs 59 ».
Il convient de dire un mot ici de la prostitution masculine qui semble être un phénomène
particulier aux grandes villes de l’époque des
Song. A Kaifeng déjà, au début du XII e siècle, on
signale l’existence de prostitués qui font commerce de leurs charmes. Ils minaudent, se fardent, se parent, chantent et dansent comme leurs
homologues féminines. Au cours des années
1111-1117, un décret impérial ordonna leur
arrestation et les condamnait à une peine de cent
coups de bâton. Une récompense de cinquante
ligatures de mille sapèques était promise à quiconque s’emparait de l’un d’eux ou déposait une
dénonciation. En fait, la recherche de ces prostitués, déjà difficile dans une ville de l’importance
de Kaifeng, l’était plus encore à Hangzhou où la
population était à la fois beaucoup plus nombreuse et plus mouvante. Sans doute aussi la
tolérance s’était-elle accentuée avec le transfert
de la cour dans le Sud. Aussi peut-on compter à
Hangzhou un bon nombre de prostitués, plusieurs centaines sans doute, qui n’ont d’autres
moyens de subsistance que ce métier. Mieuxorganisés que les chanteuses, formant un groupe
plus homogène, ils ont leur repaire en dehors des
remparts, près de la porte Neuve 60 .
La lie de la population est formée également
de voleurs, brigands, escrocs et mendiants, qui
sont groupés en corporations. Il y a des commandos de malfaiteurs. Leurs petites troupes
bloquent les rues et pillent les bourgeois en plein
jour, malgré la chasse impitoyable que leur fait
la police de la ville. D’autres, spécialisés dans
les vols par effraction, se glissent dans les maisons riches en perçant les murs de briques ou les
parois de bambou et s’emparent des coffres. Il y
a les « voleurs de plein jour », vendeurs de produits contrefaits : vêtements de papier qui imitent
la soie, masses de plomb ou de cuivre qui ont
l’apparence de lingots d’or ou d’argent, drogues
qui ne sont que de la terre et du bois. Un contemporain ne peut retenir son admiration : « L’habileté de ces gens-là est extraordinaire. » Dans la
foule des marchés et des ruelles se faufilent des
coupeurs de bourses et de pendentifs. Des chevaliers d’industrie cachent leurs activités répréhensibles sous de belles raisons sociales : certains
« offices » se font fort, grâce à de hautes relations, de procurer à leurs clients nominations,
avancements, faveurs de la cour, réussite dans
les procès ou dans les transactions commerciales. D’autres, qui portent le nom d’« office des
belles dames », s’occupent de la revente desfilles de joie comme concubines, d’autres sont
spécialisés dans les loteries et les jeux d’argent 61 . Vols et escroqueries ne peuvent être complètement réprimés dans une aussi grande
agglomération. Marco Polo est peut-être dans le
vrai quand il déclare que « la cité était si sûre
qu’on laissait la nuit les portes ouvertes, les maisons et les étalages étant pleins de riches marchandises 62 », mais son témoignage ne vaut que
pour l’époque de l’occupation mongole où la
police de la ville avait peut-être été renforcée.
Le nombre des misérables, mendiants, voleurs,
prostituées venues des campagnes, pauvres hères
qui vivent au jour le jour, colportant des marchandises, couchant n’importe où, exposés sans
cesse à mourir de faim ou de froid, varie sans
doute très rapidement d’une année à l’autre,
d’un mois à l’autre. La moindre hausse du prix
du riz doit suffire à
Weitere Kostenlose Bücher