La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
classes.
Leurs noms nous ont été conservés par les
contemporains 53 . Chanteuses et musiciennes de
talent, elles sont invitées aux banquets des hauts
fonctionnaires ou des familles nobles. Un beau
mariage ne se célèbre pas sans « chanteuses ».
Les plus renommées sont même appelées à la
cour, devant l’empereur, le soir du 15 de la première lune, au moment de la fête des lampes.
Elles jouent, assises, de la cithare ou de la pipa, sorte de guitare originaire d’Asie centrale, ou
bien chantent debout en accompagnant leur
chant de légères flexions de la taille. La chanteuse nous est ainsi décrite : « Son visage est
couleur de pêche, ses lèvres sont comme descerises, ses doigts délicats comme du jade, ses
yeux sont brillants et ensorceleurs, et sa taille
ondule lorsqu’elle chante 54 . »
Certaines courtisanes sont fréquentées par la
jeunesse dorée de Hangzhou et par les pensionnaires des grandes écoles. Les cabarets d’Etat,
qui sont une dépendance des grands entrepôts
d’alcool, ont leurs propres chanteuses dont les
noms sont inscrits sur des registres spéciaux.
Chacun de ces cabarets héberge ainsi plusieurs
dizaines de courtisanes officielles dont la liste
est fournie aux habitués. Toutefois, les plus
célèbres restent ordinairement confinées dans
leurs appartements et ne se montrent qu’aux
visiteurs de marque. L’entrée de ces cabarets est
réservée en principe aux élèves des grandes
écoles de Hangzhou (Ecole supérieure, Ecole
impériale et Ecole militaire), mais les jeunes
gens des classes riches y ont également accès 55 .
Voici ce que rapporte Marco Polo à propos de
la prostitution à Hangzhou : « En d’autres rues
demeurent des filles publiques dont le nombre
est si grand que je n’ose pas le dire. On les
rencontre non seulement dans le voisinage des
marchés où d’ordinaire des locaux leur sont
assignés, mais encore par toute la cité. Elles se
montrent dans des atours splendides, abondamment parfumées, avec une suite de servantes,
en des maisons luxueusement meublées. Ces
femmes sont excessivement accomplies danstous les raffinements de la séduction et des
caresses, savent promptement adapter leur
conversation à toutes sortes de personnes, si bien
que les étrangers qui ont une fois goûté de leurs
charmes deviennent pour ainsi dire hors d’eux-mêmes et sont si épris de leur grâce et de leur
gentillesse qu’ils ne peuvent plus les chasser de
leur pensée. D’où il résulte que, rentrés dans
leurs foyers, ils disent qu’ils ont été à Quinsay
(Hangzhou), la ville paradisiaque, et soupirent
après le moment où ils pourront y retourner 56 . »
Une telle description ne s’applique évidemment qu’aux chanteuses enrichies qui ont pu
s’affranchir de toute tutelle. Un auteur chinois
de la fin du XIII e siècle nous rapporte comment
l’une d’elles sut parvenir à la renommée et à la
richesse. Elle était originaire de Suzhou, ville
située au nord de Hangzhou et célèbre pour ses
beautés féminines. Un petit fonctionnaire issu
d’une très riche famille entendit vanter son
charme et vint en barque à Suzhou pour faire sa
conquête. Le présent d’une somptueuse garde-robe, de riches cadeaux aux domestiques, rien
n’y fit : la demoiselle était au courant de la fortune de son admirateur. Elle ne céda que lorsqu’il lui eut offert cinq cents livres d’argent et
cent rouleaux de soie. En six mois, l’infortuné
avait dilapidé plusieurs millions de sapèques,
mais la renommée et la fortune de la demoiselle
étaient faites : la jeunesse dorée du Jiangsu fit lesiège de sa demeure. Sa maison, petite, était
extrêmement luxueuse. Rien n’y manquait :
pavillons, kiosques, belvédères, jardins et pièces
d’eau. Le sol était couvert de brocart, aux murs
pendaient des tentures à fils d’or, et des couvertures de prix ornaient les lits. La domesticité
comprenait plus de dix servantes et musiciennes.
Quant aux bijoux et vases d’or, d’argent, de
jade, quant aux peintures et aux calligraphies,
tout était choisi avec un goût raffiné. A sa mort,
la demoiselle Xu Lan fut enterrée à la colline du
Tigre, lieu de sépulture des gens de la haute
société, et un pensionnaire de l’Ecole supérieure
composa son épitaphe 57 .
Les réussites de ce genre sont exceptionnelles. Le plus grand nombre des chanteuses,
même celles qui vivent dans une aisance relative, ne parviennent pas à s’affranchir de toute
tutelle. A
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