La Violente Amour
Écu à bon escient déboursé, pour ce que dans la suite, Franz
m’avait averti des embûches mortelles que la démone m’avait dressées. À vrai
dire, si la face de Franz avait conservé son ossature carrée, elle avait perdu,
en revanche, et sa chair, et sa couleur de jambon cru, et me parut fort maigri,
non moins que son grand corps qui déambulait sans beaucoup de force à pas
petits :
— Franz !
dis-je à mi-voix.
À quoi il
tourna vers moi un œil terne et dit d’une voix ténue :
— Monsieur,
avez-vous affaire à moi ?
— Oui-da !
Et bien te connais-je aussi !
— Monsieur,
dit-il avec sa politesse lorraine, excusez-moi, mais je ne vous connais point.
— Si
fait, pour m’avoir la vie sauvée.
— Monsieur,
vous vous gaussez !
— Nenni,
et pour te montrer quelle bonne dent je t’en garde, si tu veux bien me suivre,
je te baillerai deux œufs.
— Deux
œufs, Monsieur ! dit Franz en baissant la voix et en jetant un œil dans
nos alentours dans la crainte qu’un gautier ou guillaume eût surpris ce propos,
vous avez bien dit deux œufs ? Ha, Monsieur ! reprit-il, ce n’est pas
de se moquer d’un pauvre laquais qui se meurt de verte faim !
— Je ne
me moque point. Suis-moi. Point déçu ne seras.
Mais à la
porte de la ménine, rue de la Cochonnerie, je ne voulus pas le laisser entrer,
de peur que sa livrée aux couleurs de Guise effrayât la vieillotte. Et je le
commandai de m’attendre dans une impasse qui s’ouvrait là et où ne passait pas
un chat – bien sagement, car le pauvre matouard n’eût pas vécu plus d’une
minute, s’il eût mis le museau hors.
J’achetai
quatre œufs et après en avoir dissimulé deux dans mon pourpoint, je saillis de
nouveau dans l’impasse et en baillai deux à Franz qui sur l’heure, sortant son
couteau, y pratiqua des trous et les goba en un tour de langue, les cachant
dans sa large main de peur d’être aperçu. Cependant, comme au lieu de jeter les
coquilles, il les empochait, je lui en demandai la raison.
— Pour
les manger, dit-il, quand la faim me reviendra tenailler. Savez-vous, Monsieur,
que ma maîtresse, ne me voulant donner davantage par jour qu’une tranche de
mauvais pain, lequel est fait de son et d’avoine, j’en suis venu à dévorer en
cachette l’oing de ses chandelles.
— Ce
n’est point pourtant, dis-je, que ta maîtresse manque d’écus.
— Ha,
Monsieur ! dit Franz, à qui quelque couleur et vigueur paraissaient un
petit revenir, bien savez-vous comme moi, que l’envitaillement en cette Paris
est maintenant aux mains des politiques, pour ce qu’ils sont seuls à
pouvoir nouer des connivences par-dessus les murailles avec les officiers du
roi (il jeta autour de lui un coup d’œil apeuré) j’entends, du roi de Navarre.
Et que personne ne voudra rien vendre, même à prix d’or, à ma bonne maîtresse,
de peur d’être par elle dénoncé et pendu.
— Ta
maîtresse serait donc quasiment au bout de son pain ?
— Si
crois-je, car toute paonnante et piaffante qu’elle soit, elle a désoccupé petit
à petit tout son domestique, et de quarante que nous étions, n’en a gardé que
trois. Moi et deux chambrières, desquelles il ne reste qu’une, la seconde ayant
été trouvée morte hier en sa chambre.
— Morte
de faim ?
— Hélas,
oui, Monsieur ! de faim ! Et je le serais moi-même sans l’oing des
chandelles.
— Et
l’autre chambrière ?
— Je la
nourris du même vivre, dit Franz et baissant la paupière sur son œil naïf, vu
que je suis d’elle raffolé et me trouve que de la vouloir marier, si du moins
je survis à ce siège et elle aussi. Ha ! Monsieur ! ajouta-t-il, cela
me chagrine prou la conscience d’être contraint de rober les chandelles de ma
bonne maîtresse !
— Laquelle
n’est point tant bonne, dis-je sotto voce, puisqu’elle te fit fouetter
pour avoir osé toussir en sa présence.
— Monsieur,
comment savez-vous cela ? dit Franz comme effrayé, seriez-vous le
diable ?
À quoi je ris.
— Un bon
diable, en tout cas, puisque je t’ai alors baillé un écu comme onguent à tes fesses.
— Ah !
Monsieur le Chevalier, est-ce vous ? dit Franz béant. Qui vous eût reconnu
en cette bourgeoise vêture, sauf se peut, à vos yeux.
— Point
de chevalier, je te prie, Franz ! dis-je, ne jugeant pas utile de lui
apprendre qu’Henri m’avait fait baron à Blois. Je suis céans en secret. Me
nommer, c’est
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