La Violente Amour
déconcerté qu’un chat qui a glouti une
arête, et de toute manière, ne pouvait se consoler si vite de voir sa petite
bulle de paix, toute trompeuse qu’elle fût, éclatée d’un seul coup d’épingle,
plaise à Votre Majesté de nous faire entendre pourquoi ce que nous demandons ne
se peut.
— Messieurs,
reprit le roi, en revenant à eux et parlant à sa manière brève, abrupte et
galopante, j’aime ma ville de Paris. C’est ma fille aînée. J’en suis jaleux. Je
lui veux faire plus de bien qu’elle ne m’en demande. Mais je veux qu’elle doive
ce bien à ma clémence, et non au duc de Mayenne, et non au roi d’Espagne. En
outre, ce que vous requérez, à savoir de différer la capitulation de Paris
jusqu’à une paix générale, ne se peut faire qu’après une multitude d’allées et
venues entre Mayenne et moi, délai qui est très préjudiciable à moi et plus
encore à ma ville de Paris, qui, étant si affamée, ne pourra attendre si
longtemps.
Ayant dit, les
larmes lui vinrent aux yeux, et encore que je susse bien qu’Henri pleurait à
volonté, étant un commediànte tout à plein accompli, je ne doutai pas
que ces larmes-ci fussent sincères, ainsi que les paroles qui les
accompagnaient.
— Messieurs,
poursuivit-il d’une voix émue, il est déjà mort tant de personnes de faim que
si Paris attend encore huit jours, il en mourra dix ou vingt mille de plus. Ha,
Messieurs ! Quelle étrange pitié ce serait ! Messieurs, je suis cette
vraie mère dans le livre de Salomon qui aima mieux abandonner son fils à la
fausse mère que de le laisser couper en deux par la justice. Et je confesse que
je préférerais n’avoir jamais Paris que de l’avoir toute ruinée, perdue et
dissipée par la mort de tant de Français.
Ce discours
compassionné embarrassa d’autant plus le cardinal de Gondi qu’il ne pouvait le
réfuter sans paraître impiteux à l’égard des Parisiens, ce qui ne convenait ni
à son ambassade, ni à sa robe, ni, se peut, à sa complexion. Mais ses
mérangeoises (comme disait Henri, en parlant, je suppose, de sa cervelle) ne
faillaient ni en souplesse, ni en ressort, ni en ressources, et après s’être
accoisé un petit, il dit de sa voix suave :
— Sire,
si bien je vous entends, vous tenez à ce que Paris à vous se rende avant une
pacification générale, alors que nous pensons que ladite pacification devrait
précéder ladite reddition de Paris ; la raison est que si la ville est
rendue à vous sans une paix signée, le duc de Mayenne et le roi d’Espagne la
viendront bientôt assiéger et la pourraient reprendre.
— Pardieu !
s’écria le roi en se retournant pour embrasser de l’œil le bon millier de
gentilshommes qui, se pressant derrière lui, occupait le cloître et la cour, si
ceux-là viennent s’y frotter nous leur montrerons bien que la noblesse
française se sait défendre !
Puis tout
soudain se reprenant et corrigeant, il dit :
— J’ai
juré contre ma coutume. Mais je vous dis encore, par le Dieu vivant, ma
noblesse et moi ne souffrirons pas cette honte !
Les
gentilshommes cuirassés poussèrent alors tous ensemble une hurlade tant forte
qu’elle eût pu déboucher un sourd, acclamant le roi pour ses paroles, d’aucuns
disant qu’il n’avait pas juré sans cause, et que son propos valait bien un bon
jurement…
Après cette
noise et vacarme, Henri, tournant le dos aux prélats, jeta à ses conseillers un
œil gaussant et goguelu comme pour les inviter à s’applaudir du bien joué de sa
noblesse – laquelle il avait si bien mise à feu – et puis changeant
de visage en un battement de cil, et faisant face aux ambassadeurs, il reprit
du ton bonhomme qu’il affectionnait :
— Messieurs,
afin de vous ôter l’opinion que vous pourriez avoir que je presse trop les
Parisiens, je viens de m’aviser d’un moyen qui les pourrait satisfaire. Ils
espèrent un prompt secours du duc de Mayenne. Eh bien, Messieurs, discutons
ensemble un accord sous lequel Paris se rendra à moi au cas que, dans huit
jours, elle ne sera pas secourue par le duc.
Je mettrais du
désordre dans mes métaphores, si je disais que mis au pied du mur, le cardinal
de Gondi recula. Mais c’est bien pourtant ce qu’il fit.
— Sire,
dit-il, nous n’avons pas pouvoir de l’Assemblée des gens notables de Paris de
dresser un tel accord avec vous. Et assurément, ladite Assemblée ne voudra pas
non plus s’y résoudre avant d’envoyer à M. de
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