La Violente Amour
bilieuses
rides de chaque côté de ses lèvres.
— Il
l’est, reprit-il, mais il est aussi le plus grand ménageur de chèvre et de chou
de la Création. Quand la journée des barricades chassa Henri Troisième hors
Paris, le président Brisson, au lieu de rejoindre Sa Majesté à Tours, comme
firent d’aucuns membres du Parlement, demeura en Paris, se bornant à écrire au
roi une lettre secrète, où il lui assura que tout ce que lui dicteraient les Seize serait fait contre sa conscience. Ce qui fit que Brisson perdit la
confiance du roi sans gagner celle des Seize.
— Et à
quoi met la main de présent ce chattemite ?
— Mais, à
ce que vous vîtes ! Croyant proche l’entrée de Navarre en Paris, il
intrigue pour la favoriser. Et il intrigue mal ! Mon Pierre, il n’est que
de l’examiner un peu. Sa journée du pain fut tant mal conçue que mal
conduite ! Encore, si elle eût été pacifique ! Mais pourquoi les
armes ? Qu’espérer de ces piques et de ces épées disparates contre les
arquebuses du chevalier d’Aumale ? Et qu’est-ce qu’une entreprise armée,
si, au lieu que d’en prendre la tête, son chef reste douillettement chez
soi ? En bref, ce fut un désastre pour ces pauvres gens, et une aubaine
pour les Seize, lesquels eussent d’un cœur léger tué tous ces grands politiques…
— Si ?
dis-je, faisant le naïf.
— Si le
duc de Nemours n’était pas arrivé, ventre à terre, pour les en empêcher. Bon
Nemours qui tant est bénin que vaillant ! La meilleure moitié du Parlement
de Paris lui doit ce jour d’hui la vie.
À quoi je
brûlai d’ajouter qu’elle me le devait bien un petit à moi aussi. Mais voyant
que L’Étoile, qui d’ordinaire savait tout toujours, ne savait rien de mon
rollet en l’affaire, je résolus de m’accoiser, me voulant muet sur
l’envitaillement des princesses lorraines, et le lien que j’avais noué avec M me de Nemours, lequel, si j’y mettais de la circonspection, pourrait, se peut,
être autant utile à mon roi qu’il était bienfaisant jà à mon cœur.
— Cependant,
dis-je, si peu et si mal qu’ait fait le président Brisson, il a du moins
attenté quelque chose.
— Moins
que rien, dit L’Étoile en faisant sa lippe. Navarre, de l’autre côté des murs,
ne fait pas davantage, coqueliquant d’une nonnette à l’autre, tandis que Gondi
et d’Épinac l’amusent par l’appât d’une paix générale.
— Et
croyez-vous que Navarre y morde ?
— Se peut
que non.
— Navarre,
dis-je, a des forces assez pour prendre les faubourgs, mais point assez pour
sauter les murailles. Il aura Paris par la faim, ou il ne l’aura pas.
— Alors
il ne l’aura pas ! dit L’Étoile, la lippe amère. Là où le bourgeois a
failli, ce n’est pas le populaire qui va faire des tumultes, abêti qu’il est
par la faim, tourneboulé par les prêchaillons, et terrorisé par d’Aumale. En
outre, chaque jour il en meurt des centaines, vous l’avez pu voir, puisque vous
fûtes hors logis. Les rues en sont jonchées. Ils meurent si vite qu’on n’a pas
le temps de les mettre en terre.
— N’avait-on
pas décidé que les couvents devaient nourrir les pauvres ?
— Bah !
dit L’Étoile, est-ce pas vous, mon Pierre, qui m’avez appris le proverbe
périgordin :
Moines et
poux ne sont jamais rassasiés :
Tout leur
est bon, même le croûton.
— Cela
veut dire ?
— Que
sommés par Nemours de nourrir les pauvres, les moines ont quis d’eux de leur
apporter chiens et chats, lesquels ayant dépouillés et mis la peau
soigneusement de côté, ils ont fait bouillir dans de grandes marmites, et
chaque jour donnaient une louche de cette viande aux pauvres inscrits sur le
rollet de leur paroisse, l’accompagnant parfois d’un croûton.
— Voilà
donc qui fait mentir mon proverbe.
— Espérez
un petit. Au bout de quinze jours, le croûton disparut. Au bout de trois
semaines, bouillie de chien et chat aussi. Et au bout d’un mois, oyez-moi bien,
les moines revendirent aux pauvres les peaux des chats et des chiens que
lesdits pauvres leur avaient baillées.
— Vous
entends-je bien ? Revendirent ? Moyennant pécunes ?
— Vous
m’avez ouï ! Trente sols une peau de chien. Quinze sols une peau de chat.
Ou moins, ou plus, selon grosseur. Les poils ôtés, bouillis et rebouillis,
coupées en lanières, lesdites peaux furent la provende des misérables.
— Mon
cher L’Étoile, dis-je béant,
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