La Violente Amour
passait à un jet de pierre de
moi, ces Allemands sont-ils si couards ?
— Nenni !
Nenni ! hucha-t-il, mais ils sont presque tous huguenots. Raison pour
quoi, étant là bien contre leur gré, ils n’ont pas voulu vous combattre. Mais,
voici fondre sur nous une tout autre nuée ! poursuivit-il en pointant son
estoc vers un escadron ligueux qui galopait à brides avalées à notre encontre.
Par la bonne heure, Henri a adroitement disposé ses troupes en tenant grand
compte du vent, tant est que nous ne serons pas aveuglés par la poussière que
ces gens-là soulèvent en nous courant sus.
— Mais
qui sont-ils ? dis-je.
— À leur
casaque, le comte d’Egmont et ses Wallons ! La vaillance même !
Tous ! Le fer de lance de l’armée ligueuse ! Elle est pour nous,
Siorac ! Dieu vous protège !
— Dieu
vous garde aussi, Monsieur de Rosny ! dis-je, le cœur me toquant comme
fol.
— Au
trot ! hucha Rosny, devançant de vingt bonnes toises sa compagnie, ce qui
fut cause, comme je le sus plus tard, que le roi lui dépêcha son propre cousin
pour lui dire qu’il était étourdi comme un hanneton et de ne pas
s’aventurer trop avant.
— Au
galop ! cria Rosny en se laissant quelque peu rattraper par sa compagnie,
mais point tout à fait, tenant à honneur d’être le premier au chamaillis.
Ha !
lecteur ! C’est une bien étrange chose de galoper à l’encontre d’un
escadron qui sur vous contregalope, hérissé d’une sombre forêt de lances
droites, lesquelles, tout soudain, à quelques toises de vous, s’abaissent à
l’horizontale, la pointe visant votre cœur, alors que vous n’avez en votre
dextre qu’un estoc, tant plus court que ces piques sont longues ! Il est
vrai que votre estoc brisé, vos deux pistolets d’arçon vous donnent deux coups,
à courte distance mortels, mais deux seulement. Et que font deux arbres abattus
dans cette forêt qui vers vous s’élance ! Il est vrai aussi que leur lance
perdue, échappée, brisée ou trop profondément fichée pour être à temps retirée,
les lanciers n’ont plus que leur braquemart, comme dernier recours. Ce qui est
peu contre un estoc, et néant contre un pistolet.
Mais ce que je
dis là, lecteur, je le pensais après coup, car dans le moment, galopant et
galopant dans un champ, à ce que je vis, labouré et fort sec, l’estoc au bout
de mon bras dextre pointé, je sentais mon cœur me toquant, la sueur dans le dos
me coulant, ma tête battant comme cloche. Et dès que le choc se fit dans une
assourdissante noise de piques et d’estocs contrebattus, de cuirasses
s’entrechoquant, de chevaux cabrés et hennissants, de cavaliers emmêlant leurs
montures, poussant de la croupe, poussant du poitrail, et rugissant comme bêtes
fauves, rien ne compta que la rage de vaincre, dans le tête-à-tête avec la mort
de tous côtés menaçante, parant et frappant qui-cy qui-là comme forgeron sur
enclume, la poussière étant telle sur ce labour desséché qu’elle nous
enveloppait comme un brouillard en ce cruel chamaillis, où il eût fallu non
seulement bien voir, mais voir promptement, et même comme les mouches, voir de
tous les côtés, pour prévenir le coup fatal, mon estoc se brisant net à deux
doigts de la poignée, mes deux pistolets faisant feu à mon poing l’un après
l’autre, mon casque par-derrière s’enfonçant quasiment sur mon chef, et moi
versant à terre de tout mon haut dans ma lourde cuirasse, ma Pégase s’abattant,
roide à mon côtel, la Dieu merci, et non sur moi, le noir tout soudain emplit
mes yeux, et ma conscience s’évanouit lentement assez pour que je me crusse
arrivé à ces confins de la vie dont personne n’est jamais revenu.
Quand enfin je
me désommeillai de ma pâmoison, je me sentis prodigieusement étonné de
retrouver l’usance de mes membres et même de me pouvoir lever et béant plus
encore de me retrouver seul sur le champ de bataille. Où que je portasse ma
vue, si troubles que fussent mes yeux, nul des nôtres et nul ennemi n’étaient
visibles. D’où je conclus que les Wallons avaient enfoncé l’escadron royal, et
que nous étions battus. Tout chaffourré de la défaite de mon roi et anxieux
pour sa vie, je donnai au demeurant peu cher de la mienne, pour ce que j’étais
sans estoc et sans pistolet, à la merci des paysans qui viendraient à la nuitée
faire picorée sur les morts et les blessés, et expédieraient à la chaude les
survivants, n’étant que trop
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