L'abandon de la mésange

à la mode pour décrire une espèce de beige pâle, et leur chambre
à coucher en vert pomme, après un long débat.
    – Mais je vais avoir l’impression de
dormir dans un pommier !
    – Justement ! N’est-ce pas
extraordinaire comme couleur ?
    – Pour une fille de la ville, peut-être,
mais un gars de la campagne passe toute la journée dans le vert…
    – Côme…
    Quand Élise disait « Côme », avec un
voile sur les cordes vocales et les yeux braqués sur les siens, Côme
faiblissait, l’embrassait et disait oui à tout ce qu’elle lui demandait. Elle
avait ainsi obtenu la promesse qu’il porterait les boutons de manchette de son
père ; qu’il ne parlerait plus jamais d’habiter chez ses parents ;
qu’il ne s’éloignerait pas trop souvent de la maison pour le travail. Il lui
avait fait cette dernière promesse avant même qu’elle ne le lui demande, avide
qu’il était de l’avoir près de lui.
    Ensemble, ils avaient regardé les informations
et s’étaient désolés de voir la ville de Berlin coupée en deux par un mur de
parpaings et de barbelés.
    – Tu te rends compte, Côme, qu’il y a
peut-être des familles qui vont être séparées pour le reste de leur vie ?
    – Mais non, Élise, c’est un coup de tête.
Ce n’est pas sérieux. Le prochain gouvernement va tout foutre en l’air.
    Une semaine avant le mariage, Blanche demanda
à Élise qui elle voulait pour lui servir de père.
    – Ton parrain habite au Manitoba et je ne
pense pas qu’il puisse se déplacer. C’est lui qui aurait pu te servir de père.
    – Je n’en veux pas. Je veux descendre
l’allée avec toi pour père et mère et avec Micheline.
    – C’est pas coutumier. Un de mes frères
peut-être ?
    Élise esquissa un sourire las et sa mère
n’insista plus. Elle sortit et prit la direction de l’écurie, où elle brossa
Poussin et deux autres chevaux pendant des heures. Sa sœur vint la retrouver.
    – Micheline !
    Sans dire un mot, Micheline s’appuya contre la
porte de la stalle et l’observa, la tête penchée.
    – Je comprends pas ça que t’aimes les
chevaux. C’est même pas intelligent !
    – Je sais. Mais un cheval veut toujours
que son maître soit fier. C’est comme un chien. Quand il fait quelque chose de
pas correct, il le sait et il est malheureux. Qu’est-ce qui t’amène ici ?
C’est pas dans tes habitudes.
    – Je suis pas encore assez vieille pour
avoir des habitudes. J’aurai ça à vingt ans, dans deux ans.
    Élise rangea la brosse et se lava les mains
avec un savon énorme. Elle s’assura que toutes les portes des stalles étaient
bien fermées, puis sortit de l’écurie, sa sœur sur les talons.
    – Es-tu choquée contre moi, Élise ?
    – Moi ? Pourquoi ?
    – Parce que je veux aller à l’université,
puis que je vais être plus instruite que toi.
    – Non. Si j’avais à être choquée, ce
serait parce que tu n’as pas encore commencé à sourire à Côme…
    – Je lui souris !
    – O. K. Tu ne me dis pas que tu l’aimes…
    Micheline pinça les lèvres et regarda droit
devant elle.
    – Tu peux pas me forcer, Élise. C’est pas
mon genre, je te l’ai déjà dit. J’espère juste qu’il t’aime.
    Élise s’immobilisa. Quel dommage d’avoir fait
de Micheline la complice d’un délicieux égarement amoureux !
    – Es-tu venue pour me dire ça ?
    – Non.
    Micheline éclata soudain en sanglots et se
réfugia dans les bras de sa sœur.
    – Comment je vais vivre, moi, toute
seule ? Dans une maison vide ?
    Élise n’ayant jamais supporté de voir pleurer
sa sœur, elle se mit aussi à sangloter.
    – La maison sera pas vide. Maman va être
là.
    – C’est pas pareil. Pars pas, Élise.
    Élise et Micheline resserrèrent leur étreinte
et ne bougèrent plus pendant ce qui sembla une éternité aux gens qui
attendaient l’autobus tout près du boulevard Saint-Laurent.
     
    * * *
     
    L’église Saint-Viateur était un étonnant
édifice. Élise avait craint d’y être happée par le lugubre de ses pierres
grises, qui lui rappelaient les funérailles de son père. Mais elle avait
remarqué que cette église pouvait être d’une extrême beauté et que ses pierres
pouvaient pâlir lorsque tintaient les clochettes d’un baptême. Mieux, si une
mariée en robe blanche, comme elle en ce moment, montait les marches menant au
parvis, cette église était spectaculaire et devenait une caisse de résonance
son seulement pour