L'abandon de la mésange
j’étouffe, que je suis enflée comme une baloune ,
puis que j’ai hâte qu’il sorte. Avant, je pensais la même chose que toi, mais
maintenant je trouve que c’est un vrai martyre. Je ne suis plus certaine d’en
vouloir un deuxième. En plus, je trouve que j’ai l’air d’une grosse vache.
– Je suis certaine que ma sœur trouve ça
beau, une vache.
Micheline avait dit cela avec une telle
candeur que personne ne pouvait savoir si elle était sérieuse ou moqueuse.
Élise, pas dupe, attrapa la balle au vol.
– Ça, c’est vrai... De toute ma vie, je
n’ai rien vu de plus touchant que l’arrivée des petits sabots gluants du veau
quand la vache met bas.
Roger avait l’air vexé. Claude prit Françoise
par le bras et l’entraîna dans la pièce voisine, vidée de son mobilier et de
ses tapis pour servir de salle de danse.
– « Je n’ai rien vu de plus touchant
que l’arrivée des petits sabots gluants... » Élise ! La fille est
énorme... Un peu plus, tu lui demandais comment allait son veau...
– Tu crois que c’est ce qu’elle a
pensé ?
Élise pinça les lèvres pour camoufler son
sourire et se dirigea vers l’orchestre, qui soufflait de plaisir dans ses
instruments à vent. Côme l’embrassa sur la nuque
– Ce n’est pas nécessaire, ma douce, d’en
vouloir à toutes les mères de la terre.
– Pourquoi pas ? Ça ne fait de mal à
personne.
– Mais oui, ma douce : à nous deux.
Élise se retira à la salle des dames pour s’y
poudrer le nez. Tout clochait dans cette maison qui était trop grande, trop
belle, trop riche, trop insouciante et trop inconsciente de son bonheur.
Des fiançailles, une naissance, c’était
trop ! La seule ombre à ce tableau était la présence de sa sœur, qui
l’avait suivie et se lavait les mains en même temps qu’elle.
– Si elle voulait pas ressembler à une
vache, elle avait juste à pas se mettre un ensemble blanc à pois noirs !
Prise d’un fou rire incontrôlable, Élise
imprima involontairement sa main mouillée dans le dos de la robe de sa sœur,
puis elle s’en excusa en riant encore plus fort. Micheline fut happée par ce
vent d’hilarité, et les deux sœurs, sortant des toilettes, ne purent faire
mieux que de s’asseoir sur la première marche de l’escalier, incapables de reprendre
leur sérieux. Elles riaient tant qu’elles n’entendirent pas l’orchestre cesser
de jouer. Leur rire enterra même les conversations, devenues un bruit de fond
continu sostenuto. Lorsque Claude apparut au pied de l’escalier et leva les
bras, Micheline se demanda s’il les invitait à descendre ou à se taire, ou s’il
affichait simplement son impuissance.
– On arrive, on arrive !
– C’est qu’on a passé la demie.
Rappelées à l’ordre, elles descendirent
docilement et enfilèrent leur manteau, aidées par Côme, puis se joignirent aux
autres invités, qui se dirigeaient vers l’église pour la messe de minuit.
Le retour de la cérémonie fut moins drôle.
Micheline avait une mine renfrognée et elle demanda s’ils allaient bientôt
partir ou s’ils étaient obligés d’assister au réveillon. Côme répondit un oui
sans équivoque. Elles rentrèrent donc avec les autres, supportant
courageusement les regards suspicieux ou amusés de certains des invités.
Françoise et Côme les accueillirent comme de véritables mariés, et Françoise montrait
à tous sa bague de fiançailles, glissée à l’annulaire d’une main douce aux
ongles manucurés et nacrés. Les fiancés furent félicités, et lorsque vint le
tour de Micheline, qui suivait Élise, cette dernière se retourna et vit que sa
sœur avait un sourire crispé. Claude lui mit délicatement la main sur la taille
en l’embrassant, alors qu’il avait simplement touché le bras des autres femmes.
Élise sentit son cœur devenir exsangue et jeta un regard à sa sœur pour la
rassurer. Micheline reprit rapidement le contrôle de ses sens en la rejoignant
d’un pas alerte.
Claude suscita évidemment l’admiration de tous
dès qu’il fut sur la piste de danse. Françoise arrivant à peine à le suivre,
elle lui accorda la permission de prendre d’autres partenaires. Élise détourna
rapidement le regard pour ne pas qu’il l’invite et Micheline fit de même. Ce
n’est qu’à la quatrième danse que Claude prit Micheline par la main, et Élise
entraîna aussitôt Côme à leur suite. Dans le froufrou de ses bas de nylon, les
pas de danse
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