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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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péronnelle. À l’église, le jour du mariage,
il avait compris, mais dans la rue, ici, au vu et au su de tous, il ne savait
trop.
    – Ta mère n’est pas là. Qu’est-ce que tu
faisais avec l’ex-employé de ton père ?
    Élise fut piquée à vif. De quel droit se
permettait-il une telle question ? Côme vint la rejoindre à la voiture et
ils repartirent immédiatement pour la campagne. Pour la première fois depuis
des années, elle lui parla sans retenue.
    – Ce sont de bons amis de la famille, pas
des ex-employés de mon père ! Dans ma famille, on n’a ni roi ni reine, et
on n’a pas tendance à voir les gens comme des sujets. Ça, c’est l’Europe, Côme,
pas le pays d’ici. Je l’ai tout simplement croisé dans la rue Atwater quand je
suis allée fouiner au marché. Ça te dérange ?
    – Oui. Qui a payé tes fleurs ?
    Élise sursauta et regarda son mari comme si
elle le voyait pour la première fois.
    – C’est cheap , ce que tu viens de
dire là, Côme. Très, très cheap.
    Côme savait qu’elle vivait avec l’argent qu’il
rapportait à la maison. Ils avaient choisi cette façon de faire afin qu’elle
puisse aider son père aux champs. Il savait très bien qu’elle n’avait pas de
salaire ni de revenus.
    – Est-ce volontairement que tu essaies de
me rendre malheureuse ? Ce n’est pas réussi. Ce n’est tellement pas réussi
que demain matin je cherche du travail.
    Côme était abasourdi. Il croyait entendre
Micheline alors que c’était Élise qui était là, à ses côtés, les yeux injectés
et la bouche amère. Jamais ils n’avaient abordé la question financière, et il
venait d’ouvrir la boîte de Pandore. Souvent il avait pensé remettre en
question leur arrangement, d’autant plus que celui-ci avait été fait en
fonction des enfants, qui n’étaient jamais venus. Il n’avait pas voulu le lui
reprocher. Lorsqu’il l’avait vue s’ennuyer, parce que cela lui arrivait de
s’ennuyer, il s’était dit qu’elle pourrait parfaitement enseigner durant
l’année scolaire et travailler aux champs en été. La vérité, c’est qu’il
n’avait jamais aimé l’avoir à sa charge, même s’il n’avait jamais perçu sa mère
comme étant à la charge de son père. Sa mère avait été une immigrée courageuse,
alors qu’il lui arrivait parfois de voir Élise comme une diplômée un peu
paresseuse. Les temps changeaient et elle ne semblait pas l’avoir remarqué.
Elle faisait partie du dernier bastion des femmes entretenues et elle aurait pu
prendre exemple sur sa sœur. Elle le tuerait sûrement si elle pouvait
l’entendre réfléchir. Mais quelle belle amante elle était, encore plus lorsque
ses mains étaient rugueuses, ses ongles mal équarris, sa peau chaude de soleil
et ses cheveux remplis de terre !
    – Ce que tu es belle quand tu te
choques !
    Élise l’aurait griffé. Elle demeura sans voix.
La voiture étant immobilisée à un feu rouge, elle prit ses fleurs et sortit
précipitamment en claquant la porte.
    – Élise ! As-tu tes règles, pour
être aussi déchaînée ?
    Elle ne voulait plus l’écouter. Elle
s’engouffra dans une petite rue sous le pont Jacques-Cartier, tout en entendant
les klaxons s’impatienter contre Côme.
    Elle erra un peu dans la ville, qu’elle
détestait toujours autant, puis elle prit le dernier autobus pour
Drummondville, après avoir téléphoné à Marcel pour qu’il vienne la chercher au
terminus et paye son passage. Il l’attendait sur le quai quand l’autobus,
empestant l’essence, arriva en soufflant une fumée noire. Marcel l’accueillit
en souriant, sans lui poser de questions.
    – La dernière chose que je voulais faire,
c’était de téléphoner à Côme. Il m’énerve.
    Marcel fut déconcerté. Jamais Élise n’avait
utilisé un langage aussi dur pour parler de son mari. Où étaient-ils, ces couples
qui s’accommodaient du quotidien et des jours sans autres histoires que celles
de l’épicier et du facteur ? Il comprit que sa bru était en colère et il
la déposa simplement à la maison.
    Élise ouvrit la lumière de la galerie et se
fit une toute petite jardinière sur laquelle elle souffla son haleine chaude
avant de la déposer sous la fenêtre de sa chambre. Elle se glissa ensuite dans
un lit vide. « Mon maudit ! » pensa-t-elle avant de s’endormir,
sans pleurs, sans reniflements, sans regrets. Dans la nuit presque noire de sa
chambre, elle rêva à Wilson.
     
    * *

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