Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'absent

L'absent

Titel: L'absent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
colline.
    Abandonnant les préparatifs des cérémonies à la
municipalité, M. Pons de l’Hérault poussa Octave au-dehors : il
verrait de ses yeux les bonnes dispositions des habitants, comment la rumeur
les avait adoucis, comment ils étaient faciles à persuader et prompts à
l’enthousiasme. Ils croisèrent dans la courette des malabars qui
transbahutaient des meubles pour garnir la mairie, où résiderait Napoléon dans
un premier temps. « Vous voyez, disait M. Pons, les bourgeois offrent
leurs fauteuils les plus confortables aux fesses impériales. » Octave ne
releva pas l’ironie et le fait que par sa formule l’administrateur des mines
s’excluait des fidèles sujets de l’Empereur, il regardait, il écoutait Porto
Ferraio résonner de voix et de bruits.
    Le soir tombait. La ville, tout à l’heure avachie au soleil,
s’agitait. Massés au coin des rues et sous les arbres, des groupes bruyants
commentaient l’événement. Des charpentiers clouaient des estrades, des
pavillons. Les persiennes entrecloses s’ouvraient à la tiédeur du soir ;
on apercevait des bourgeois, chez eux, qui brossaient leurs habits de gala. Des
femmes confectionnaient des guirlandes en réunion, des hommes se dépêchaient,
portant des paquets de chandelles sous le bras. M. Pons n’invita pas
Octave dans son appartement, dont les huit croisées s’ouvraient sur les
remparts du port : son épouse était en train d’y confectionner avec des
couturières le nouveau drapeau ; Drouot en avait donné ce matin le
croquis. Il ramena Octave au Buono Gusto, l’unique café, bondé de
bavards, avec l’idée de le confier pour sa première nuit à la famille de Gianna
la servante. Ils se tassèrent à un coin de table, au fond, près des tonneaux,
au coude à coude avec des marins ivrognes qui jactaient dans un dialecte dérivé
du toscan. Tant pis pour le vacarme, Octave avait l’estomac creux, il vida
comme un chien de chasse une assiettée de thon mariné, un plat à vous sécher la
gorge, et il but, il but des rasades d’un vin local, plus clair que celui du matin,
sans herbes qui nageaient dedans. Au cinquième gobelet il devint nostalgique,
M. Pons le devina à son regard lointain. Au sixième gobelet il commença à
parler de lui ; son mentor en profita pour inverser les rôles et le
questionner :
    — Je vous ai vu écrire une première version de
l’affiche, à la mairie, d’un seul jet, et une chose m’a surpris…
    — Dites-moi tout, fit Octave en remplissant lui-même le
pichet vidé.
    — C’est une phrase. Celle où vous prêtez à Napoléon les
propos qu’il était réellement en train de tenir au sous-préfet, à bord de la
frégate anglaise où nous n’étions pas, ni vous ni moi.
    — Et après ?
    — Le je vous serai un bon père, soyez pour moi de
bons fils…
    —  Oui ?
    — Il l’avait déjà dit plusieurs fois et à
d’autres ?
    — J’en sais rien, ça m’est venu avec naturel.
    — Comment ?
    — Avec naturel, je vous répète ! Que vouliez-vous
qu’il dise ? À vos canons ! feu !
    Octave rit, s’étrangla et termina un autre gobelet.
    — D’où vous vient ce talent, monsieur Sénécal ?
    — C’est pas un talent, c’est une habitude. J’ai appris
à le deviner. Vous savez, monsieur, il faut le deviner sans arrêt, sans arrêt
je vous dis, on s’y fait, ça épuise mais on s’y fait, on connaît ses tournures,
sa manière, ce n’est pas bien dur quand on vit dans sa proximité.
    — Oui, vous avez cette chance…
    — Une chance ? Je sais pas. Une chance si vous
voulez, mais moi je vous dis, hein, je vous dis que plus on est proche de lui
et moins on existe.
    — Tiens !
    — Vous n’y croyez pas ?
    — Je suis prêt à vous croire. Expliquez-moi.
    — J’étais pas bien important, avant, mais j’étais plus
libre, j’avais ma vie à moi, je patrouillais dans Paris, j’ouvrais mes yeux et
mes oreilles, je notais les anomalies, je faisais des rapports, je connaissais
des braves filles et elles m’aidaient, enfin, on s’aidait, elles et moi, et
puis voilà, près de lui j’ai plus aucune personnalité. C’est ce qu’il veut. Il
aime s’entourer de farfadets et de marionnettes. Et moi, monsieur, en quelques
semaines je suis devenu une parfaite marionnette. Oh, pour ça il est fort, il vous
commande sans dire un mot, on est pris au piège, tout renard qu’on puisse être.
Votre sous-préfet est déjà une marionnette, et le maire,

Weitere Kostenlose Bücher