L'affaire du pourpoint
intense que Lady Mildred le ressentit. Avec sa franchise habituelle, elle aborda aussitôt le sujet.
— Ursula, ma chère, nous savons que vous vous préparez à rejoindre votre époux et que ce retard vous pèse, mais la reine a raison : l’époque est mal choisie pour voyager, et l’on a besoin de vous ici. Ce n’est que provisoire. Le printemps reviendra avant que vous ne vous en aperceviez. Venez donc près du feu. Nous sommes heureux de vous recevoir, même si ce n’est pas tout à fait une invitation conventionnelle. Nous commencerons au moins de façon sociable. On ne discutera d’aucune affaire avant la fin du premier plat.
J’essayai de penser à une réponse appropriée, mais ne trouvai rien. En douceur, Cecil prit la relève :
— Ma femme est résolue à ne pas parler travail avant que nous ayons mangé la viande. Elle affirme que cela nous couperait l’appétit et que, par ce froid, cela ne vaut rien. En hiver, il faut une nourriture roborative.
— Allons, venez vous réchauffer ! insista Lady Mildred en m’attirant vers le foyer.
Habiles à prodiguer le bien-être, ils s’embarquèrent alors dans une conversation légère au sujet du temps. Au moins pouvais-je y participer. Quand le dîner fut servi, ces propos insouciants se poursuivirent, passant de la nourriture aux petits ragots liés à la cour, puis à la remarquable boîte à musique de messire Mew. Recouvrant mon sang-froid et tentant de mieux contribuer à cet échange, je fis remarquer que Paul Fenn avait vraiment fière allure, et Lady Mildred répondit qu’il était un trésor.
— Il est issu d’une bonne famille, bien sûr – vieille noblesse, un peu désargentée. Les Fenn sont du Sussex. Je crois que leur manoir n’est pas loin de Faldene, où vous avez grandi. En fait, ils connaissent votre oncle et votre tante – non que ce soit une recommandation ! Mais le jeune Paul ne semble pas plus mal pour autant.
J’en convins puis, relançant la discussion, je m’intéressai aux nouvelles tapisseries. Un panneau, en particulier, retenait mon regard. Il représentait une licorne encerclée par des chasseurs munis de lances et par une meute de chiens. Les armes étaient pointées vers la malheureuse créature, qui occupait le centre du tableau ; pourtant, elle redressait la tête et, de sa corne unique, défiait ses assaillants avec fierté. Des reflets lustrés, tissés en fils plus pâles, couraient sur les hampes des piques et les plis de la manche retroussée d’un des chasseurs.
— Sans l’ombre d’un doute, c’est une copie d’une œuvre de Bruxelles, La Chasse à la licorne, remarquai-je. Quand je vivais à Anvers avec Gerald, nous allions souvent chez Sir Thomas Gresham. Il en possédait un exemplaire. Cependant, celle-ci est plus belle. Il y a de la soie dans ces reflets.
— Tout à fait exact, confirma Cecil. Elle fut exécutée dans l’atelier de Giorgio Vasari, à Florence. On en voit le monogramme distinctif, un « G » et un « V » entrelacés, dans le coin inférieur droit de chaque panneau, à côté des initiales du tisserand : « HH », pour Hans van Hoorn.
— Un tisserand flamand ? m’étonnai-je.
— Oui. Bernard Paige, le marchand qui m’a vendu ces tapisseries, connaît l’histoire de tous ses articles et discourra à leur sujet pendant des heures pourvu qu’on lui en laisse l’occasion ! Ce van Hoorn s’est donc rendu chez Vasari avec plusieurs de ses compatriotes, il y a un an, afin de copier des œuvres célèbres. Paige importe ces copies, qui se vendent fort bien. La reine l’a félicité pour son initiative. Elle veut que l’Angleterre attire de riches marchands et de beaux produits. La prospérité entraîne la solvabilité ; c’est aussi un moyen de contrecarrer ses ennemis.
— Tels que Marie Stuart, ajouta Lady Mildred.
Là-dessus, la conversation s’orienta pour la première fois vers des questions politiques. Dès ce moment, je sentis qu’elle n’était plus le fruit du hasard, mais que Cecil la guidait. Il parlait, avec une nonchalance apparente, de l’avenir possible de la jeune Marie Stuart, maintenant qu’elle n’était plus princesse consort de France.
— Elle pourrait se remarier très vite. On parle du fils de Philippe d’Espagne.
— J’ai peine à le croire, nuança Lady Mildred. On dit don Carlos difforme et sujet à des accès de démence. Il est plus probable que cette pauvre fille viendra s’installer en
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