L'affaire du pourpoint
Écosse, à notre porte, où elle sera pour nous une véritable plaie.
Lorsqu’on apporta les douceurs – des tartelettes au miel safrané et des gâteaux au fromage parfumés à l’eau de rose –, le changement d’atmosphère était indubitable.
Cecil, reposant un gâteau entamé sur son assiette, me regarda dans les yeux.
— Les servantes n’entreront plus à moins que je ne les appelle. Il est temps d’en venir au fait.
Le sillon entre ses yeux s’était creusé. Cette fois, je devinai que la cause en était l’inquiétude.
— J’aurais préféré que nous n’ayons pas à vous soumettre cette proposition, admit-il brusquement. Dites-moi, comment s’est passée votre dernière séance avec messire Bone ?
— Très bien, je pense. J’espère acquérir assez vite une dextérité suffisante.
— Je n’en doute pas. Vous montrez des dispositions inhabituelles pour ce genre de tâche, Ursula, bien qu’à mon sens, ce ne soit pas convenable pour une jeune femme, surtout mariée. Franchement, je me réjouis qu’après cette mission vous partiez retrouver Matthew de la Roche. Quelle que soit mon opinion personnelle sur ses convictions, vous êtes son épouse. Vous avez de surcroît une enfant à élever. Cependant, vous avez accompli un travail admirable pour nous l’an passé. Nous voilà débarrassés de Dudley, au moins en tant que conspirateur et sans doute en tant que soupirant de la reine… Enfin, espérons-le ! J’avoue que les membres du Conseil et moi aimerions la voir contracter mariage.
La table était encore recouverte de la nappe et des assiettes, pourtant, à cet instant, elle devint le cœur d’une salle de conférences. Je m’éclaircis la gorge. Je devais donner l’impression d’être partie prenante de cette discussion.
— Qu’attendez-vous de moi ?
— C’est une longue histoire, dit Lady Mildred. Laissez mon mari l’aborder à sa façon.
— Le fait est clair, reprit Cecil. Jusqu’à ce que Sa Majesté prenne époux – de préférence un autre que Dudley – et qu’elle donne naissance à un prince légitime, elle est vulnérable : à la maladie, à un accident, à un assassinat ou au scandale. Un scandale serait aussi terrible que la mort. Si un malheur se produisait, nous aurions le choix entre deux de ses cousines : Lady Catherine Grey, qui soutiendrait la cause protestante mais, de l’avis de tous, ne serait pas de taille à conserver le trône, et Marie Stuart, qui ramènerait la chasse aux hérétiques et le bûcher. Trois cents personnes ont péri par le feu sous le règne de Marie Tudor. Si l’ancienne religion était restaurée, d’autres mourraient encore. Moi y compris. Ursula, connaissez-vous le señor Borghese, secrétaire particulier de l’évêque de Quadra ?
— Uniquement de vue. Trapu, taciturne, bien habillé quoique sans ostentation.
Je m’étais donné du mal pour paraître intéressée, mais, en dépit de moi-même, cet intérêt commençait à être sincère.
— C’est notre homme. Il se montre avisé en ne mettant pas en avant l’excellente coupe de ses vêtements, sans quoi de Quadra craindrait de le rétribuer avec une trop grande générosité ! Ils forment un couple bien assorti. De Quadra reçoit des dessous-de-table des Français pour les informer de ce qui se passe ici, et le señor Borghese en reçoit de ma part, pour me tenir au courant des agissements de son maître ! Néanmoins, il ne transmet pas tout. Il ne m’avait pas averti des plans de Dudley – cela, c’est à vous que je dois de le savoir. Au fait, qu’est-ce qui vous a donné à croire que le portefeuille de l’ambassadeur pouvait renfermer des papiers compromettants ?
— Dudley se tenait souvent de son côté dans les antichambres, expliquai-je. Les courtisans font cela quand ils veulent se rappeler au souvenir de quelqu’un sans passer par un entretien officiel.
— Quel sens de l’observation ! Je disais bien que vous aviez un don ! Borghese m’avait toutefois informé que d’anciens hauts conseillers de la reine Marie avaient écrit à de Quadra, pour envisager les moyens de restaurer le catholicisme dans le pays. Je les ai tous fait enfermer à la Tour, en guise d’avertissement pour les autres.
Ces temps-ci, la cour entière ne parlait que de cela.
— J’en ai ouï dire, répondis-je. Mais, en ce cas…
— Vous pensez que, dès lors que Dudley et eux sont hors d’état de nuire, tout danger est
Weitere Kostenlose Bücher