L'affaire du pourpoint

Naguère, cela me paraissait clair : d’abord, j’avais été une enfant de l’amour tout juste tolérée à Faldene ; plus tard, l’épouse de Gerald Blanchard, le jeune agent prometteur de Sir Thomas Gresham. Puis, pour ma plus grande joie, la mère de Meg.
    Et maintenant, j’étais… Qui ? Eh bien, toujours la mère de Meg, cependant Gerald était mort et enterré. J’étais dame d’honneur de la salle du trône, gouvernante temporaire des petites Mason, épouse séparée d’un ennemi du royaume. Espionne, chargée de traquer les pareils de Matthew en Angleterre. En somme, trop de personnes à la fois, dont certaines s’opposaient avec violence.
    Il était temps d’en finir. Dès que je le pourrais, j’irais chercher Meg, je rejoindrais Matthew et je deviendrais une seule et même personne : Ursula de la Roche, dame du château de Blanchepierre. Sinon, je perdrais la raison.
    Je me demandai s’il arrivait à Élisabeth de se sentir déchirée entre son devoir de reine et ses propres aspirations, les exhortations du Conseil, qui voulait la voir mariée, et les horreurs de son enfance. Penser à elle m’apaisait. Cette mission à Lockhill, je l’accomplissais pour elle. Et soudain, ce fut comme si, après avoir descendu dans le noir un escalier branlant, je venais de poser la main sur une rampe solide. Dès qu’il s’agissait d’Élisabeth, je retrouvais mes repères. J’étais à son service et je ne lui ferais pas défaut.
    Mes idées se clarifiaient. Pour l’instant, il était dangereux de s’introduire dans le bureau. J’irais à Thamesbank. Je profiterais de cette occasion de revoir Meg. Je découvrirais si Cecil avait mené l’enquête de son côté, et j’explorerais ma théorie. Peut-être poursuivais-je des ombres, mais je n’avais que ce moyen de distinguer la vérité.
    Je m’endormis.

CHAPITRE X

Anges et tapisseries
     
    Je perdis peu de temps en excuses, le lendemain matin. Au petit déjeuner, j’annonçai que j’avais décidé de rendre visite à ma petite Meg de toute façon et que je m’absentais quelques jours.
    — Oh, mon Dieu ! gémit Ann. Reviendrez-vous, Mrs. Blanchard ? J’étais tellement reconnaissante de votre présence ! Jane m’a montré quelques-unes de ses broderies, hier. Vous avez déjà accompli des merveilles avec elle.
    — Mais bien sûr, Mrs. Blanchard doit aller voir sa fille si elle le souhaite, déclara Leonard Mason avec sévérité. Et il ne faut pas la presser de revenir contre son gré.
    — Loin de moi cette idée, toutefois je serai heureuse si elle accepte de revenir, répliqua Ann d’un ton tranchant qui laissait soupçonner un caractère plus affirmé que je ne le croyais.
    — Je compte rentrer très bientôt, affirmai-je. Avant mon départ, je préparerai des exercices pour les filles et je chargerai Pen de veiller à ce qu’ils soient faits. Elle est assez grande pour assumer des responsabilités. Cela lui fera du bien.
    — Je ne comprends pas, remarqua Crichton. Pourquoi, puisque vous êtes censée vous reposer, ne séjournez-vous pas chez les Henderson, auprès de votre fille ?
    Je m’étais justement préparée à cette question.
    — Je ne veux pas m’imposer. Les Henderson ont la bonté d’accueillir Meg sans que j’aie grand-chose à leur offrir en retour. Ici, au moins, je peux me rendre utile. Appelez cela de la fierté si vous le voulez. De plus, mieux vaut pour Meg ne pas trop s’habituer à ma présence. Elle en sera si souvent privée !
    — Quelle tristesse que vous n’ayez pas un vrai foyer où vous puissiez élever votre enfant ! compatit Ann.
    — Sans doute Mrs. Blanchard trouve-t-elle des compensations dans la variété et la liberté de la vie à la cour, déclara Mason.
    Je me réjouissais de m’éloigner de tant de froideur quelque temps.
    Je pris Brockley et Dale, qui montait Souris, un hongre marron prêté par Rob – il l’avait laissé à Lockhill pour elle, en cas de nécessité. Nous emportâmes peu d’effets, qui tenaient dans nos sacoches de selle, et nous voyageâmes de relais en relais, changeant de montures à Maidenhead. Nous atteignîmes Thamesbank sans encombre ce même après-midi.
    Mattie et Rob furent agréablement surpris par ma visite et je trouvai ma Meg, éclatante de santé, en train de s’amuser avec les petits Henderson dans l’immense salle de jeu, sous l’œil de leur nourrice et de Bridget. Ma fille courut vers moi, puis, se rappelant les bonnes