L'affaire Nicolas le Floch
courrier parti de Londres à peu près en même temps que vous est arrivé hier, porteur d'un message m'informant que cette canaille, impressionnée par votre fermeté et par votre réticence à marchander – car vous ne lui avez rien proposé, n'est-ce pas ? – se disait prête à composer. Une escobarderie 38 eût tout gâché ! Vous êtes monté franc à l'assaut sans tergiverser, comme votre père.
Nicolas opina, ému par cette évocation.
— Notre homme s'en est trouvé si inquiet, si bourrelé d'imaginations funestes, si convaincu, en un mot, que votre détermination préfigurait d'épouvantables représailles, qu'il a aussitôt pris langue avec notre agent pour lui annoncer qu'il venait à résipiscence. Il acceptait de recevoir un nouvel émissaire, pourvu que celui-ci fût chargé de propositions financières, en particulier pour l'extinction de ses dettes et une éventuelle pension. Contre tout cela, il s'engagerait à brûler les éditions de son pamphlet avec toutes les garanties qui se doivent prendre lorsqu'on traite à bout de gaffe avec un tel brochet !
— Vous m'en voyez heureux.
— Sa Majesté, à qui j'ai parlé hier soir, chante vos louanges ainsi qu'une dame qui, hélas, crut aimable de vous rencontrer dans les bois de Chantilly. Enfin, Dieu merci, vous êtes là ! Ne comptez pas sur moi pour vous dévoiler les mains qui ont armé vos agresseurs. Tout cela est environné de nuées et je connais bien des gens qui voudraient que celles-ci s'épaississent encore davantage sur cette affaire. Le roi a fort peu goûté qu'on s'en prenne à vous, qui le représentiez. Il lancera des avertissements à la cantonade 39 .
— Espérons que les coulisses entendront l'avertissement, soupira Nicolas. Le chevalier d'Éon m'a chargé d'un message pour Sa Majesté au sujet du sieur Flint et des affaires de Chine.
Une main nerveuse vérifia l'agencement de la perruque. Ce mouvement suggéra à Nicolas que son chef s'agaçait devant une question qu'il ignorait.
— Vous verrez le roi, dit-il. Il faut le distraire et vous y parvenez. Ceci étant, qu'en est-il de la triste affaire de la rue de Verneuil ?
Nicolas trouvait que son chef passait bien vite sur les attentats perpétrés contre lui, mais il savait que Sartine devait sauvegarder aussi sa propre situation, soumise aux aléas de la faveur et aux menaces de sournoises cabales. Il commenta les derniers événements sans entrer dans les détails, le lieutenant général de police n'appréciant guère « la cuisine » des enquêtes. Seuls les résultats importaient. Enfin il évoqua la lettre de Mme de Lastérieux, qu'il lui tendit et que celui-ci ignora.
— Inutile, j'ai déjà pris connaissance de sa teneur.
— L'inspecteur Bourdeau agit toujours avec la même promptitude ! fit Nicolas avec un rien d'aigreur.
Sartine sourit.
— Comme vous êtes injuste ! Il n'est pour rien dans mon information ! Le serait-il, que ce serait son devoir de tout me révéler. Vous êtes payé pour savoir, monsieur, que là où je me tiens, je suis à même, et le seul dans ce cas, de connaître des correspondances particulières pour le bien de l'État et la sûreté de Sa Majesté. C'est un privilège bien lourd.
Il s'était levé et arpentait son bureau à grands pas, soudain irrité.
— Il se trouve que mes bureaux – ce qu'un vain peuple nomme le cabinet noir – m'ont soumis cette lettre doublement intrigante. D'une part, parce qu'elle émanait d'un agent stipendié de la haute police – Mme de Lastérieux, pour ne pas la nommer – d'autre part parce qu'elle constituait une pièce importante d'une procédure secrète en cours dans laquelle un homme qui bénéficie de ma confiance se trouve, qu'il le veuille ou non, impliqué au premier chef. Vous n'avez rien à me prouver. Il n'en était pas de même pour le lieutenant criminel dont vous avez déjà éprouvé la... disons... la prudence coutumière. Auriez-vous, par inadvertance ou volonté délibérée de dissimulation, oublié de signaler cette correspondance, que ni le roi ni moi-même n'aurions pu continuer à vous protéger. Or, nous avions raison et votre attitude justifie notre jugement. Et surtout, M. Testard du Lys, qui en faisait une affaire d'État compte tenu de votre position, donnera son nihil obstat à votre intervention dans l'enquête qui se poursuit. À moins, dit-il en riant, que ce ne soit que manœuvre machiavélique d'un coupable qui a pressenti ce
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