L'affaire Toulaév
Turkestan qu'il attrapait à douze ans avec un nœud coulant fait d'un brin d'herbe – « ha ha ha ! J'ai toujours été spécialisé dans les nœuds coulants ! » Il déchira le dossier en quatre. « Ici, bouteille, ici, canaille, hurrah ! » Il but à en perdre le souffle, le rire, la conscience…
Quand il arriva, l'après-midi du lendemain dans son cabinet de procureur, Popov l'y attendait entouré des chefs de service qu'il congédia de la main. Ennuyé, Popov, jaune et le teint malade. Le procureur s'assit sous le grand portrait du chef, ouvrit sa serviette, prit un air aimable, mais la migraine lui pesait sur les paupières, il avait la bouche pâteuse et la respiration oppressée.
– Passé une vilaine nuit, camarade Popov, crise d'asthme, le cœur, je ne sais quoi, pas eu le temps de consulter un médecin… À vos ordres !
Popov demanda doucement :
– Avez-vous lu les journaux, Ignatii Ignatiévitch ?
– Pas eu le temps.
Il n'avait pas lu le courrier non plus, puisque les enveloppes non décachetées étaient là. Popov se frotta les mains.
– Bon, bon… Eh bien, camarade Ratchevsky, il vaut mieux que ce soit moi qui vous apprenne les nouvelles…
Ce ne devait pas être aisé, car il chercha dans ses poches un journal, le déplia, y trouva un certain texte vers le milieu de la troisième page.
– Tenez, lisez, Ignatii Ignatiévitch… D'ailleurs, tout est arrangé, je m'en suis occupé ce matin…
« Par décision du… et cætera… le camarade Ratchevsky, I. I., procureur près le Tribunal suprême, est relevé de ses fonctions… vu sa nomination à un autre poste… »
– Évidemment, dit Ratchevsky, sans émotion, car il apercevait une tout autre évidence.
Des deux mains, mollement, il poussa sa lourde serviette vers Popov.
– Voilà.
Popov disait avec des frottements de mains, des toussotements, de vagues sourires engageants – et tout cela n'avait aucune signification :
– Vous comprenez, n'est-ce pas, Ignatii Ignatiévitch… Vous avez accompli une tâche… surhumaine… Erreurs inévitables… Nous avons pensé à un poste qui vous permettrait de prendre quelque repos… Vous êtes nommé… (du fond de sa torpeur, Ratchevsky dressa l'oreille) nommé directeur des services du Tourisme… avec un congé préalable de deux mois… que je vous conseille amicalement de passer à Sotchi… ou à Souk-Sou, ce sont nos deux meilleures maisons de repos… La grande bleue, les fleurs, Aloupka, Alouchta, les sites, Ignatii Ignatiévitch ! Vous nous reviendrez avec des forces nouvelles… dix ans de moins… et le tourisme, vous savez, n'est pas négligeable !…
L'ex-procureur Ratchevsky parut se réveiller. Il gesticula. Les gros verres de ses lunettes jetèrent des éclairs. Un rire fendit horizontalement sa face concave.
– Enchanté ! Le tourisme, rêve de ma vie ! Les petits oiseaux dans les bois ! Les cerisiers en fleur ! La grande route de Svanétie ! Yalta ! Notre Riviera ! Merci, merci !
Ses deux mains noueuses et velues empoignèrent les mains molles de Popov, qui recula un peu, le regard agité, le sourire jaunissant.
Les fonctionnaires subalternes les virent sortir bras dessus, bras dessous comme de bons compères qu'ils étaient. Ratchevsky souriait de toutes ses dents jaunes et Popov avait l'air de lui raconter une bonne histoire. Ils montèrent ensemble dans une voiture du Comité central. Ratchevsky fit arrêter pour un moment dans la rue Maxime Gorki, devant une grande épicerie. Il en revint, ayant repris tout son sérieux, avec un paquet qu'il mit délicatement sur les genoux de Popov.
– Regarde, vieux !
Le goulot d'une bouteille, débouchée, se dégageait du papier.
– Bois, mon ami, bois le premier… disait amicalement Ratchevsky et son bras entourait les épaules chétives de Popov.
– Je vous remercie, dit froidement Popov, et du reste je vous conseille de…
Ratchevsky éclata :
– Vous me conseillez, cher ami ! Que c'est gentil !
Et il but goulûment, la tête renversée, la bouteille tenue haut d'un poing ferme, puis il se pourlécha les lèvres :
– Vive le tourisme, camarade Popov ! Savez-vous ce que je regrette ? D'avoir commencé ma vie en pendant des lézards !
Il ne dit plus rien ensuite, mais il déballa la bouteille pour voir ce qu'elle contenait encore. Popov le reconduisit jusque chez lui, en grande banlieue.
– Comment va votre famille, Ignatii Ignatiévitch ?
– All right, very well ! Elle va être prodigieusement
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