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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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Vous attendrez. Bonne nuit.
    Le camarade Popov, de la Commission centrale de Contrôle, personnage inconnu du grand public mais jouissant d'une très haute autorité morale – surtout depuis l'exécution, pour haute trahison, de deux ou trois hommes encore plus respectés que lui –, s'étant fait annoncer chez le haut-commissaire, celui-ci le reçut immédiatement, non sans curiosité. Erchov voyait Popov pour la première fois. Par les froids les plus rigoureux, Popov coiffait son abondante chevelure gris sale d'une vieille casquette d'ouvrier achetée six roubles au magasin Moscou-Confection. Son paletot en cuir, passé de couleur, datait de dix ans. Popov avait un vieux visage tout en rides et boursouflures de mauvaise santé, une barbiche déteinte, des lunettes métalliques. Il entra comme ça, la casquette sur les mèches grises, une grosse serviette sous le bras, un drôle de petit rire mou dans les yeux.
    – Alors ça va, cher camarade ? demanda-t-il familièrement, et Erchov fut pris – rien qu'un centième de seconde – à cette bonhomie de vieux malin.
    – Très heureux de vous connaître enfin, camarade Popov, répondit le haut-commissaire.
    Popov déboutonna son paletot, se laissa tomber pesamment dans un fauteuil, murmura :
    – Fatigué, cré diable ! fait bon chez vous, bien aménagés, ces nouveaux bâtiments (se mit à bourrer sa pipe). Moi, vous savez, j'ai connu la Tchéka tout au commencement, avec Félix Edmoundovitch Dzerjinski, ah non, c'était pas le confort, l'organisation d'aujourd'hui… Le pays soviétique grandit à vue d'œil, camarade Erchov. Vous avez de la chance d'être jeune…
    Erchov, poli, le laissait prendre son temps. Popov éleva entre eux une main couleur de terre, molle, aux ongles négligés.
    – Eh bien voilà, mon cher camarade. Le parti pense à vous – il pense à chacun de nous, le parti. Vous travaillez beaucoup, avec zèle, le Comité central vous apprécie. Naturellement, vous avez été un peu débordé, il y avait l'héritage à liquider (l'allusion aux prédécesseurs fut discrète), la période de complots que nous traversons…
    Où voulait-il en venir ?
    – L'histoire procède par étapes… Tantôt les polémiques, tantôt les complots… Eh bien, voilà. Vous êtes évidemment fatigué. Vous n'avez pas été tout à fait à la hauteur dans cette affaire de l'attentat terroriste contre le camarade Toulaév… Vous me pardonnerez de vous le dire avec ma vieille franchise, à titre tout à fait personnel, entre quatre yeux, cher camarade, comme une fois, en 1918, Vladimir Illitch m'a dit à moi-même… Eh bien, parce qu'on vous apprécie…
    Ce qu'avait pu lui dire Lénine vingt ans auparavant, il ne songea pas à le raconter. C'était sa manière de parler ; un faux bafouillement, des eh bien semés de-ci de-là, la voix chevrotante, on se fait vieux, on est un des plus vieux du parti, toujours sur la brèche.
    – Eh bien, il faut que vous vous reposiez deux petits mois au grand air, au soleil du Caucase… Prendre les eaux, camarade, je vous envie rudement, croyez-moi… Eh eh… Matsesta, Kislovodsk, Sotchi, Tikhés-Dziri, pays de rêve… Vous connaissez les vers de Gœthe :
    Kennst du das Land wo die Zitronen blühn ?
    … ne savez-vous pas l'allemand, camarade Erchov ?
    Le haut-commissaire discernait enfin, avec saisissement, le sens de ce bavardage.
    – Pardon, camarade Popov, je ne suis pas sûr d'avoir bien compris : c'est un ordre ?
    – Non, cher camarade, rien qu'une recommandation que nous vous faisons. Vous êtes surmené comme moi, ça se voit. Nous appartenons tous au parti, nous lui devons compte de notre santé. Et le parti veille sur nous. Les Vieux ont pensé à vous, on a parlé de vous au Bureau d'organisation (mentionné ici pour ne point nommer le Bureau politique). Ce qui est décidé, c'est que Gordéev vous remplacera en votre absence… Nous connaissons vos bons rapports, ainsi ce sera le collaborateur qui a toute votre confiance qui… oui… deux mois, pas plus… Le parti ne peut pas vous accorder davantage, cher camarade…
    Popov dépliait ses genoux, avec une lenteur exagérée, il se levait, le sourire rance, la peau fangeuse, main tendue, bienveillant.
    – Cré nom, ah, vous ne savez pas encore ce que c'est que les rhumatismes… Eh bien, quand partez-vous ?
    – Demain soir, pour Soukhoum. En congé, ce soir même.
    Popov parut enchanté.
    – Ça c'est bien. Promptitude militaire dans la décision, j'aime

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