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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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locomotive siffla longuement. Erchov dit :
    – Ma femme…
    Le petit gros le coupa avec empressement :
    – Soyez sans inquiétude, Maxime Andréevitch, je m'en occuperai moi-même…
    – Je vous remercie, dit Erchov stupidement.
    – Veuillez changer de vêtements, dit le grand maigre, à cause des insignes…
    En effet, les insignes… Une vareuse militaire sans insignes, un manteau d'uniforme à peu près pareil au sien, sans insignes, étaient jetés sur le dossier d'une chaise. Bien préparé, tout ça. Il se rhabilla comme un somnambule. Tout s'éclairait, à commencer par des choses que lui-même avait faites… Son propre portrait, jauni par le soleil et sali par les chiures de mouches, le regardait.
    – Vous enlèverez ce portrait, dit-il sévèrement.
    Le sarcasme le fortifia, mais tomba dans le silence.
    Quand Erchov sortit de cette pièce, entre le grand maigre et le petit gros, la salle de garde voisine était vide. Les hommes qui l'avaient vu entrer portant au col et aux manches les étoiles de la puissance ne le voyaient pas sortir dégradé. « L'organisateur de cette arrestation mérite des félicitations », pensa le haut-commissaire destitué. Il ne sut pas s'il faisait cette réflexion par automatisme ou par ironie. La station était déserte. Rails noirs sur la neige, espaces blancs. Parti, le train spécial emportant Valia, emportant le passé. Un seul wagon attendait à cent mètres, un tout autre wagon, plus spécial, vers lequel Erchov se dirigea à grands pas entre les deux hauts gradés silencieux.

3. LES HOMMES CERNÉS
    Des régions polaires, par-dessus les forêts dormantes de la Kama, des tempêtes de neige, lentes et tourbillonnantes, chassant çà et là devant elles des hordes de loups, arrivaient sur Moscou. Elles paraissaient se déchirer sur la ville, épuisées de leur long voyage aérien. Elles submergeaient soudainement l'azur. Une morne clarté laiteuse se répandait sur les places, les rues, les petites résidences oubliées des ruelles d'autrefois, les tramways aux glaces givrées… On vivait dans un doux tourbillonnement de blancheur semblable à un ensevelissement. On marchait sur des myriades d'étoiles pures, à tout instant renouvelées. Et voici qu'en haut, sur des bulbes d'église, sur de fines croix dorées, pas encore tout à fait dédorées, plantées dans le croissant renversé, l'azur reparaissait. Le soleil s'étalait sur la neige, caressait les vieilles façades miséreuses, pénétrait par les doubles fenêtres dans les intérieurs… Roublev contemplait sans lassitude ces métamorphoses. De minces branchages endiamantés montaient dans la fenêtre de son cabinet de travail. Vu de cet endroit, l'univers se réduisait à un morceau de jardin délaissé, une muraille, et derrière la muraille une chapelle abandonnée, avec un bulbe vert-doré que la patine du temps rosissait.
    Roublev détourna les yeux des quatre livres qu'il consultait simultanément : une seule série de faits y revêtait quatre aspects indéniables mais incertains d'où naissaient les erreurs des historiens, les unes méthodiques, les autres spontanées. On cheminait à travers l'erreur comme à travers la bourrasque de neige. Des siècles plus tard l'évidence se faisait jour pour quelqu'un – aujourd'hui pour moi – de ce lacis de contradictions. L'histoire économique, notait Roublev, a souvent la netteté trompeuse d'un procès-verbal d'autopsie. Quelque chose d'essentiel lui échappe heureusement, comme à l'autopsie : la différence entre le cadavre et le vivant.
    – J'ai une écriture de neurasthénique.
    La sous-bibliothéquaire Andronnikova entrait. (« Elle pense que j'ai une tête de neurasthénique… »)
    – Veuillez parcourir, Kiril Kirillovitch, la liste des ouvrages défendus au public, demandés par autorisation spéciale…
    Roublev visait négligemment toutes les demandes – qu'il s'agît d'historiens idéalistes, d'économistes libéraux, de sociaux-démocrates acquis à l'éclectisme bourgeois, d'intuitionnistes fumeux… Cette fois il tiqua : un étudiant de l'Institut de Sociologie appliquée demandait L'Année 1905 de L. D. Trotsky. La sous-bibliothéquaire Andronnikova, au menu visage entouré d'une mousse de cheveux blancs, s'y attendait bien.
    – Refusé, dit-il. Conseillez à ce jeune homme de s'adresser à la Bibliothèque de la Commission d'Histoire du parti…
    – C'est ce que j'ai déjà fait, répondit doucement Andronnikova, mais il a beaucoup

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