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L'Amour Courtois

L'Amour Courtois

Titel: L'Amour Courtois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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tout autre être qui s’assit à ses pieds, la
regardant intensément et suspendu aux paroles qu’elle allait prononcer. Elle se
tourna vers lui ; Enkidou, lui dit-elle doucement, tu es devenu aussi beau
qu’un dieu. Viens, laisse-moi t’emmener à Éreck, la grande ville où vivent les
hommes, laisse-moi te conduire au temple étincelant où le dieu et la déesse
sont assis sur leur trône. »
    On se demandera ce que ce récit peut avoir de commun avec la fin’amor . Écoutons Bernard de Ventadour :
« Je n’ai plus eu sur moi-même aucune puissance depuis le jour où elle me
permit de me regarder dans ses yeux , dans ce
miroir qui tant me plaît. » Et encore Bernard Marti : « Lorsque je
suis le propre voleur de ma Dame, je ne considère pas ma peine comme mauvaise. Quand
je suis nu dans sa demeure et que j’embrasse et caresse ses flancs, je ne sais
pas d’empereur qui, comparé à moi, soit à même de recevoir une aussi grande récompense
ni obtenir davantage de fin’amor . » Et encore
Arnaut Daniel : « Chaque jour je deviens meilleur et je m’affine, car
je sers et révère la plus gente dame du monde, je le dis sans ambages. Je suis
sien des pieds à la tête, et la froide bise a beau souffler, l’amour qui inonde
mon cœur me tient chaud au plus froid de l’hiver. » En plus, l’Homme
Sauvage qu’est Enkidou rappelle singulièrement le maître des bêtes sauvages que
rencontre le chevalier Yvain, dans le roman de Chrétien de Troyes, non loin de
la Fontaine de Barenton : « Je garde les bêtes et les gouverne de
telle sorte qu’elles ne sortiront pas de cet enclos […] Il n’est aucune qui ose
bouger dès qu’elles me voient venir : quand je puis en tenir une, je l’empoigne
par les deux cornes, de mes mains qui sont solides et puissantes, si bien que
les autres tremblent de peur et s’assemblent autour de moi comme pour crier
grâce, mais nul autre que moi ne saurait se hasarder parmi elles sans être tué. »
D’ailleurs, la description du personnage, conforme à d’autres descriptions que
l’on trouve dans les vieilles épopées irlandaises, est révélatrice :
« Un vilain ressemblant à un Maure, laid et hideux plus qu’il n’est
possible, créature plus laide qu’on ne saurait dire, une grande massue à la
main. » Il s’agit bien d’un personnage équivalent à Enkidou.
    Mais toute cette histoire n’est qu’une version d’un conte populaire
universellement répandu et dont on connaît de multiples récits : c’est en
effet le conte de la Belle et la Bête . Par
amour – ou grâce à des relations sexuelles – une bête, c’est-à-dire en fait un
être humain frappé d’une malédiction, autrement dit encore à l’état de
non-conscience, acquiert sa dimension humaine et se révèle être un beau prince.
C’est ce qui arrive à Enkidou. Là encore, la Genèse a inversé la polarité du
mythe primitif : chassés du Paradis, Adam et Ève sont en pleine déchéance,
alors que l’être primitif (Adam et Ève en un seul personnage) en était encore à
un stade d’inconscience de son existence et qu’il a été révélé par le serpent, lequel n’est pas le diable, bien
sûr, mais l’image négativisée de la déesse des commencements, celle qui initie
sexuellement et amoureusement, et qui, grâce à la connaissance
biblique , provoque le surgissement de la conscience humaine, y compris
la notion du bien et du mal. D’être primitif et sauvage, l’homme est parvenu au
stade de l’autonomie : il vient d’acquérir conscience et liberté. C’est le
sens du mythe babylonien, et il faut y voir la probable version originelle du
récit de la Genèse hébraïque.
    Cela change tout, évidemment. Il n’y a aucune notion de culpabilité
dans le récit babylonien. Et la femme y apparaît nettement dans toutes ses
fonctions, y compris dans sa fonction sexuelle. C’est d’ailleurs « une
fille des rues ». Ne nous y trompons pas : à Babylone, comme dans
tout le Proche-Orient, la prostitution n’avait pas la connotation qu’elle a
aujourd’hui dans les sociétés postchrétiennes. Il existait une prostitution
sacrée, et la Prostituée sacrée du temple d’Ischtar devenait la déesse elle-même
dans sa mission initiatique. Et c’est dans cette direction qu’il faut chercher
l’explication du rôle particulier de la dame de l’amour courtois, image de la
déesse primitive, initiatrice de l’homme et dispensatrice des biens spirituels
et

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