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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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deux ans d’exercice, se sentait horriblement mal dans sa peau. Pour comble, en passant par le boulevard pour gagner la place Boucherie et de là les casernes à deux pas de chez lui, il eut le déplaisir de voir son père sortant, parmi d’autres notables, de quelque assemblée au Collège, s’arrêter sur les marches pour considérer cette troupe peu flatteuse. Il ne manquerait certainement pas d’en faire des gorges chaudes avec Marcellin.
    Depuis son engagement, Bernard n’était pas retourné au faubourg Montmailler. Il ne doutait pas qu’une visite y serait pénible, cependant il ne voulait point partir sans saluer son père. Un instant, il pensa se mettre en vêtements civils pour l’aller voir, puis il estima que ce serait une lâcheté.
    M. Delmay recopiait au net son livre journal, dans le petit bureau du rez-de-chaussée. Ce n’était pas sans un gonflement du cœur que, le matin, il avait vu son cadet, avec deux épaulettes d’or, marcher à la tête d’une compagnie. Milicien dès sa jeunesse, descendant de bourgeois miliciens, le quinquagénaire batailleur était tout autant militaire que drapier. Il avait beau détester les démocrates, cela le touchait de voir son garçon qu’il aimait, qu’il estimait, capitaine à vingt-six ans. Au contraire de ce qu’avait cru Bernard, sur les marches du Collège M. Delmay ne prétait point attention à la médiocrité de la troupe commandée par son fils, mais le regardait, lui, et ressentait des impulsions bien contraires.
    En le voyant, svelte et fort, avec cet uniforme neuf aux couleurs tranchées, s’encadrer, le chapeau à la main, dans la porte du bureau, il se renversa contre le dossier de son fauteuil, et, contemplant Bernard des cheveux, bien serrés dans le ruban de queue, à l’épée garnie de la dragonne d’or :
    « Alors te voilà, mauvais garçon ! » dit-il, furieux et content tout ensemble. « Tu viens me montrer que j’ai donné le jour à un sans-culotte ?
    — Permettez-moi, répliqua Bernard en souriant, de vous faire observer que j’en porte une.
    — Ouais. De mauvais droguet. Elle ne te durera pas longtemps. Tu as encore celle de ton ancien uniforme, j’espère.
    — Bien entendu.
    — Où donc as-tu pris l’argent pour l’acheter toutes ces dorures ?
    — C’est le produit d’une souscription patriotique », répondit prudemment Bernard.
    M. Delmay ricana en déclarant que la ville ne manquait pas de sottes bêtes.
    « Tu la rembourseras, cette souscription, tu m’entends ? » ajouta-t-il d’un ton rogue. « C’est assez déjà d’avoir un mauvais fils irrespectueux, sans encore le voir vêtu par charité. Je suis capable d’habiller mes enfants, sacré nom !
    — Ah ! mon bon père, je vous reconnais à ces paroles. Eh bien, je vous avouerai une chose ; taisez-la surtout à Léonarde. C’est Jean-Baptiste qui a pris à sa charge la dépense, malgré l’ennui de mon départ. »
    M. Delmay leva les bras au ciel :
    « Jean-Baptiste ! Un homme sensé ! Tout le monde perd donc la tête, dans Limoges d’en bas !
    — Mais non, mon père, et ne me tenez pas, je vous prie, pour un fils irrespectueux, ni dénué d’affection. Vous voyez, malgré mon chagrin de vous déplaire et ma crainte de subir votre ressentiment, je ne pouvais me passer de votre permission, pour partir.
    — Bientôt ?
    — Après-demain. »
    M. Delmay soupira. Il se leva, prit son fils par les épaules. « Ah ! cadet, cadet ! Tête de mule ! Si tu crois si fort que ton devoir t’oblige, je ne peux pas t’en vouloir de l’accomplir. Après tout, roi ou nation, c’est toujours à la France que je te donne. Ne t’avise pas au moins d’aller faire l’imbécile en courant inutilement au danger !
    — Bah ! il ne s’agit pas pour nous de nous battre, nous allons simplement monter la garde pendant quelques mois. Le pays n’est pas en guerre.
    — Pas pour l’instant, certes. Quoique, avec les enragés qui nous gouvernent !… Allons, capitaine, viens dîner demain. Amène Léonarde et Jean-Baptiste, afin que nous soyons tous réunis. »
    En quittant son père, Bernard, passant derrière la Visitation par une ruelle bordée de jardins et d’enclos, rejoignit le faubourg de Paris pour monter à la Manufacture. Il y trouva Lise seule. Claude était allé s’entretenir avec Dumas, dans son cabinet, à l’ancienne Intendance où l’on avait installé le Département. Bernard apprit tristement à

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