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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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concédé.
    — Attention aux développements de ta proposition, padre. Si elle est juste, tes compatriotes laïcs auraient dû lire saint Augustin et réfléchir un peu avant de conquérir la route maritime des Indes derrière la Croix du Christ.
    — Ils l’ont vaincue grâce à Dieu.
    — Saint Augustin se serait donc mêlé de ce qui ne le regardait pas. La route est ouverte en tout cas. Alors maintenant, mon travail consiste, sans trop contrarier le Seigneur, à soulager les corps mortels de cette nef avant que tu bénisses leur plongeon sans retour vers les abysses.
    — Qui pourraient bien correspondre avec l’enfer quelque part dans les profondeurs insondables.
    Le chapelain se signa, lui destina un signe amical de la main et s’éloigna courbé sous le poids de sa réflexion.

    Parmi les plaies tapies dans l’espace clos des navires, on distinguait difficilement les effets de la maladie que l’on nommait d’une manière générale mal de bouche, mal de gencives ou mal de jambes selon ses attaques. Par sa régularité, ses effets ravageurs et son issue fatale, elle se distinguait des fièvres intermittentes, erratiques, périodiques, jaunes, tierces ou quartes, et de tous les autres maux : les flux de ventre, la dysenterie, les œdèmes et le mal de poitrine. Depuis qu’ils armaient des flûtes au long-cours, les Hollandais avaient appris à craindre le fléau, que l’on nommait depuis lors scorbut selon deux hypothèsesétymologiques parentes soit du norrois skyr-bjugr œdème, soit du néerlandais scheurbuik signifiant déchirure du ventre.
    Jean avait emporté un livre de François Martin de Vitré qui venait de paraître à Paris, enrichi d’un traité du scorbut. Ce dimanche d’alerte, il en lut un extrait à François.
    « Des pustules livides paraissent sur toute la peau, qui ressemblent au commencement à des morsures de puces, mais qui enfin se rendent malignes et dégénèrent en ulcères très douloureux. La couleur du visage le plus souvent paraît blême et parfois jaunâtre, l’haleine devient puante. Les gencives sont pleines de petits ulcères, avec surcroît d’une chair baveuse et livide qui leur couvre parfois toutes les dents et leur empêche l’usage des viandes solides. La plupart de ceux qui sont attaqués de cette maladie, s’ils ne sont diligemment secourus, meurent en peu de jours. »
    — Mon Dieu ! Voilà donc ce mal qui nous guette.
    — Et encore, je t’ai épargné la description de l’intérieur du corps. Nous allons faire ce qu’il faut pour essayer de passer inaperçus mais il est redoutable.

    L’annonce de la maladie s’étant répandue, Sebastião fit irruption dans leur logis en brandissant ses Lusiades .
    — Il a tout dit ! Écoute son récit toi qui es médecin :
    « Une maladie la plus laide et la plus cruelle que j’aie jamais vue fit mourir beaucoup de mes compagnons dont les restes furent enfouis pour toujours dans une terre étrangère et lointaine. Qui pourrait croire cela sans l’avoir vu ? Les gencives enflaient de façon si monstrueuse dans la bouche que la chair gonflait tout en se putréfiant. Elle pourrissait en dégageant une puanteur fétide qui infectait l’air environnant. N’ayant pas à bord ni médecin avisé ni chirurgien habile, l’un d’entre nous peu experten cela tranchait dans la chair pourrie comme si elle était morte. Et il fallait faire ainsi car ceux qui la conservaient en mouraient. »
    Il les regarda l’un puis l’autre. Jean opina de la tête.
    — Même les poètes s’en mêlent. C’est un véritable cours de médecine. La pourriture de bouche est effectivement la conséquence la plus courante de la maladie. Les gargarismes sont de peu d’effet, depuis le vin rouge jusqu’aux sirops opiacés, aux électuaires et aux thériaques, voire au vitriol. Le meilleur désinfectant reconnu pour se rincer la bouche est sa propre urine.
    — On se moque de mes lectures et de la poésie homérique que ne comprennent pas la plupart de nos passagers ignares dont l’inculture offense le Seigneur. Mais tout y est, comme si Camões avait décrit notre bateau : « Nos vivres étaient corrompus, avariés, malsains, nuisibles à nos corps affaiblis ! » Il savait bien de quoi est pétrie notre aventure.
    Il poursuivit en articulant, son œil valide fermé, la barbe dressée, l’index sentencieux :
    « Si notre troupe n’avait été lusitanienne, crois-tu qu’elle serait demeurée si longtemps

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