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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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fidèle à son chef et à son roi ? »
    Le philanthrope s’échappa aussitôt, pressé d’aller révéler à quelques désœuvrés dépoitraillés à la respiration douloureuse qu’ils étaient les nouveaux héros en armure de l’épopée lusitanienne.

    On attribuait au gibier chassé aux escales, à l’air respiré à terre ou à l’eau de source les guérisons rapides dues en réalité à la consommation de légumes et de fruits dont on faisait peu de cas. Au contraire, on suspectait l’acidité de certains fruits d’épaissir le sang. L’oseille et l’épine-vinette étaient considérées comme de bons antidotes, et l’effet salvateur des jus d’agrumes était reconnu à l’époque, sans que l’on puisse expliquer pourquoi. Les voyageurs prévoyants emmenaient des réserves de jus, de décoctions ou de sirop d’orange et de citron dont les vertus étaient d’ailleurs altérées par la cuisson.

    Le garde-manger se balançait au plafond de leur cahute, hors de portée des larcins au passage et des rats. Jean remarqua à haute voix que les vautours attendent l’immobilité des mourants pour se poser sur leur cadavre, que les végétaux ne restent pas immobiles et que les eaux dormantes se putréfient. Ils tombèrent provisoirement d’accord sur la constatation que le mouvement est consubstantiel à la vie. Ils en déduisirent que la prostration des passagers pendant plusieurs mois, une circonstance anormale dans la vie d’un homme, pouvait entrer dans le processus de déclenchement du mal étrange des vaisseaux au long cours.
    — Encore qu’il y ait des contre-exemples. Les prisonniers qui se dessèchent dans le secret des tours ou des in-pace meurent plutôt de vieillesse ou de désespoir que de scorbut.
    — Sait-on de quoi ils meurent ?
    — Je t’accorde le doute. Quant aux grumètes qui courent, s’activent et volent d’un bout à l’autre du navire à longueur de journée, ils n’en sont pas exempts.
    — Si la réponse était facile, conclut Jean, les maîtres à penser de la médecine que ce mal rend ridicules ne nous auraient pas attendus pour la trouver.
    — J’ai peut-être une sorte de réponse.
    François montra son coffre du doigt, l’ouvrit et s’agenouilla pour y farfouiller plus commodément. Il se redressa en tenant un paquet.
    — Voilà. Je l’avais enfouie au creux de mes hardes. Ma mère me l’a remise à mon départ de Dieppe, comme un talisman. Cette liqueur est réputée salvatrice. Mon frère la tenait d’un compagnon de Samuel Champlain qui l’avait ramenée de la première expédition au Canada. Elle a fait des miracles parmi les compagnons de Jacques Cartier atteints par cet étrange mal alors qu’ils hivernaient à la recherche du royaume de Saguenay.
    — J’ai eu très vaguement connaissance de cet épisode du second voyage de Cartier.
    — Selon mon frère, c’est une décoction de feuilles et d’écorces d’un arbre que les Iroquois nomment annedda . À l’oreille, c’est un nom comme ça. Connais-tu cet arbre ?
    — Je sais seulement que c’est un résineux. Magnifique ! Tu as fait des progrès rapides, monsieur l’apprenti apothicaire, au point de prétendre maintenant me reprendre et surclasser mes drogues par la médecine des Amérindiens !
    — Et je te fais remarquer que puisque les Indiens souffrent eux aussi du même mal, il n’est donc pas comme nous le répétons l’apanage des navigateurs.
    Jean fit une moue admirative.
    François déballa soigneusement la fiole contenant la décoction des Iroquois, et fit sauter de la pointe de son couteau la cire noire qui protégeait son bouchon. Le liquide doré avait la fluidité d’un sirop et, démentant une odeur âcre, sa saveur résineuse laissait un arrière-goût sucré. Jean balaya aussitôt la suggestion d’en faire profiter Antão et Margarida.
    — Ta générosité t’honore et je m’y attendais, mais ils n’accepteraient pas ni l’une ni l’autre de garder égoïstement ce secret vital. La moindre indiscrétion laissera penser que tu disposerais d’une potion miraculeuse. Qu’elle soit ou pas un remède, ta drogue deviendra un trésor plus précieux que les coffres de la monnaie gardés par les soldats. On ira jusqu’au crime pour t’en déposséder et l’on se battra ensuite pour en lécher les gouttes sur ton cadavre.
    — Le capitaine-major me ferait protéger.
    — Il te ferait mettre aux fers pour se l’approprier. Et puis, serait-il

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