L'archer du Roi
travers les trous de leur toit de fortune, teintant de rouge les parois
rocheuses, mais ils couraient peu de risques. Les assiégeants ne
patrouilleraient sans doute pas dans les bois dans l’obscurité. Personne ne
s’aventurait volontairement en pleine nuit au milieu d’une épaisse forêt, car
toutes sortes de bêtes, de monstres et d’esprits hantaient ces lieux. Thomas se
rappela son voyage avec Jeannette, au cours duquel ils avaient passé toutes
leurs nuits dans les bois. C’était une période heureuse, dont le souvenir le
fit s’attendrir sur lui-même. Puis, comme de coutume, il se sentit coupable
envers Eléonore.
Chassant ces pensées, il tendit les mains vers le petit feu.
— Y a-t-il des hommes verts en Écosse ?
demanda-t-il à Robbie.
— Tu veux dire dans les bois ? Il y a des lutins.
C’est des diables, de méchants petits diables.
Robbie fit le signe de la croix et, au cas où ce ne serait
pas suffisant, se pencha pour toucher la garde de fer de l’épée de son oncle.
Thomas pensa aux lutins et aux autres créatures qui les
attendaient au milieu des ténèbres de la forêt. Avait-il réellement envie de
retourner à Evecque cette nuit même ?
— As-tu remarqué, demanda-t-il à son compagnon, qu’au
camp de Coutances, on ne paraissait point se préoccuper des quatre cavaliers
qui ne sont pas revenus ? Personne n’est parti à leur recherche, n’est-ce
pas ?
Robbie y réfléchit, puis haussa les épaules.
— Peut-être que les cavaliers ne venaient pas du
camp ?
— Si, affirma Thomas avec une assurance qu’il ne
ressentait pas tout à fait.
Pendant quelques instants, en proie à la culpabilité, il se
demanda si ces hommes venaient bien de là ; puis il se souvint que
c’étaient eux qui avaient engagé le combat.
— Ils sont certainement venus d’Evecque, affirma-t-il,
et maintenant, on doit s’inquiéter pour eux, là-bas.
— Et alors ?
— Et alors, ils ont peut-être posté plus de guetteurs
ce soir ?
De nouveau, l’Écossais haussa les épaules.
— Et après ?
— Je suis en train de me dire, expliqua Thomas, qu’il
me faut faire savoir à messire Guillaume que nous sommes ici, et je ne sais
comment le faire, sinon en faisant un grand tintamarre.
— Tu pourrais lui écrire un message, suggéra Robbie, et
le mettre autour d’une flèche ?
Thomas leva les yeux au ciel, puis lui expliqua
patiemment :
— Je n’ai pas de parchemin, et je n’ai pas d’encre, et
as-tu déjà essayé de tirer une flèche enveloppée dans un parchemin ? Elle
volerait comme un oiseau mort ! Il faudrait que je me place près des
douves et que j’envoie la flèche de là-bas.
— Eh bien, que faisons-nous alors ?
— Nous faisons du bruit. Nous nous annonçons à grand
fracas… Et je suis en train de me dire que la bombarde va finir par démolir la
tour si nous n’agissons pas.
— La bombarde ? répéta Robbie.
Puis il scruta attentivement le visage de son interlocuteur.
— Doux Jésus ! souffla-t-il. Cette nuit ?
— Une fois que Coutances et ses hommes connaîtront
notre présence, ils doubleront leurs guetteurs, mais cette nuit, je parie que
ces bâtards dormiront tous, ou presque.
— Oui-da, et bien au chaud dans une couverture s’ils
ont un peu de jugeote, ces marauds, compléta Robbie.
Puis il fronça les sourcils.
— Mais cette machine avait l’air d’une grosse jarre
très solide. Comment diable comptes-tu la briser ?
— Je pensais à la poudre noire qui est dans l’église.
— Tu veux y mettre le feu ? Et comment t’y
prendras-tu ?
— Il y a des feux de camp en quantité dans le village,
dit Thomas.
Il se demanda ce qui se passerait s’ils se faisaient pincer
dans le campement, mais il n’allait pas s’encombrer de ce genre de réflexions.
S’ils devaient mettre la bombarde hors d’usage, mieux valait frapper avant que
le comte de Coutances ne sache qu’un ennemi était venu le harceler, et cette
nuit était l’occasion idéale.
— Rien ne t’oblige à me suivre, reprit-il. Ce ne sont
pas tes amis qui sont assiégés dans ce manoir.
— Ferme ton bec ! riposta Robbie avec courroux. Et
que va-t-il se passer après ?
— Après ? (Thomas réfléchit.) Cela dépend de
messire Guillaume. S’il n’obtient pas de réponse du roi, il va vouloir sortir.
Donc, il faut qu’il sache que nous sommes ici.
— Pourquoi ?
— Au cas où il aurait besoin de notre aide. Il nous
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