L'archer du Roi
de la frontière.
— Dieu du ciel, nous restons en pays découvert !
Ce qui nous intéresse, c’est juste le bétail et les chevaux !
Ils se turent, car ils étaient arrivés près des abris. Un
ronflement sonore leur parvint depuis l’une des petites huttes de terre, et un
chien invisible gémit, mais sans aboyer. Un homme était assis sur une chaise
devant une tente ; sans doute était-ce le garde chargé de veiller sur le
sommeil des dormeurs, mais il dormait lui-même à poings fermés. Un léger vent
faisait bouger les branches des arbres dans un verger, près de l’église, et le ruisseau
plongeait en clapotant dans le petit barrage du moulin. On entendit une femme
rire doucement, et des hommes entonnèrent une chanson. C’était un air que
Thomas ne connaissait pas. Les voix profondes des chanteurs recouvrirent le
grincement de la porte du cimetière lorsqu’ils l’ouvrirent. Dans le petit
clocher en bois de l’église, on entendait les soupirs du vent sur la cloche.
— C’est toi, George ? cria un homme depuis le
porche.
— Non ! répondit Thomas d’une voix plus brève
qu’il n’eût voulu.
À son ton sec, l’homme sortit de l’ombre et Thomas, prêt à
se battre, mit sa main derrière son dos pour attraper la poignée de sa dague.
— Mille excuses, Messire.
L’homme avait pris Thomas pour un officier, peut-être même
un seigneur.
— J’attendais la relève, Messire.
— Sans doute est-elle encore en train de dormir,
répondit Thomas.
L’homme s’étira et bâilla à grand bruit.
— Ce vaurien oublie toujours de se réveiller.
Ce n’était guère qu’une ombre dans l’obscurité, mais il
semblait de haute taille.
— Et il fait froid par ici, poursuivit-il. Dieu qu’il
fait froid ! Est-ce que Guy et ses gars sont revenus ?
— Un de leurs chevaux a perdu un fer, répondit Thomas.
— Ah, c’était donc ça ! Et moi qui pensais qu’ils
avaient trouvé le chemin de cette taverne, à Saint-Germain. Par le Christ et
ses anges, cette fille qui n’a qu’un œil ! Vous l’avez vue ?
— Pas encore, déplora Thomas.
Il tenait toujours sa dague, une arme que les archers
appelaient la miséricorde, car on s’en servait pour délivrer de leur misère les
hommes d’armes blessés et à terre. La lame était fine et suffisamment flexible
pour se glisser entre les jointures d’une armure et aller chercher la vie qui
se trouvait en dessous. Mais il répugnait à la tirer. Ce guetteur ne se doutait
de rien. Son seul tort était d’être démangé par une envie de parler.
— L’église est-elle ouverte ? s’enquit le jeune
archer.
— Pour sûr.
— Nous avons besoin d’aller prier.
— Celui qui a besoin d’aller prier en pleine nuit est
quelqu’un qui n’a pas la conscience tranquille, pas vrai ? commenta le
guetteur d’un ton affable.
— Il y a trop de filles qui n’ont qu’un œil, expliqua
Thomas.
Robbie, qui n’entendait pas le français, l’attendait
immobile, les yeux rivés sur la grande ombre noire de la bombarde.
— C’est un péché qui mérite repentance, gloussa
l’homme. Attendez ici pendant que je m’en vais réveiller George. Ce ne sera pas
long.
— Prends tout le temps qu’il faudra, répondit Thomas,
magnanime, nous restons ici jusqu’à l’aube. Laisse donc dormir George, nous
allons monter la garde, nous autres.
— Vous êtes un saint vivant ! se réjouit l’homme.
Puis il attrapa sa couverture et s’éloigna non sans leur
avoir souhaité aimablement la bonne nuit.
Lorsqu’il eut disparu, Thomas entra sous le porche, où il
donna involontairement un coup de pied dans un baril vide qui roula à grand
fracas. Il jura entre ses dents et s’arrêta net, mais rien ne bougea dans le
village.
Robbie vint s’accroupir à côté de lui. Le porche était
plongé dans une obscurité impénétrable, mais en tâtonnant, ils découvrirent une
demi-douzaine de barils vides qui répandaient une forte puanteur d’œufs
pourris. Sans doute avaient-ils contenu de la poudre noire. En chuchotant,
Thomas donna à son compagnon la teneur de la conversation qu’il avait échangée
avec le guetteur.
— Mais ce que je ne sais pas, conclut-il, c’est s’il va
réveiller George ou non. Je ne crois pas, mais je n’en suis pas sûr.
— Pour qui nous prend-il ?
— Sans doute pour des hommes d’armes.
Thomas poussa les barils vides de côté, puis se releva et
chercha à tâtons la corde qui
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