L'archer du Roi
relevait le loquet de la porte de l’église. Il la
trouva, mais fit la grimace en entendant les gonds grincer.
L’intérieur de l’édifice n’était pas moins sombre, et il
régnait la même odeur de pourri que dans les barils vides.
— Il nous faudrait un peu de lumière, chuchota-t-il.
Ses yeux s’accoutumèrent peu à peu à l’obscurité et il
aperçut une faible lueur venue de la grande fenêtre surmontant l’autel. Aucune
flamme ne brillait au-dessus du sanctuaire où l’on gardait les hosties, sans doute
à cause de la poudre à canon entreposée dans la nef. Thomas trouva facilement
la poudre, car il se cogna contre les barils empilés de l’autre côté de la
porte. Il y en avait au moins deux vingtaines, chacun approximativement de la
taille d’un seau. Thomas estima que la bombarde en utilisait un ou deux à
chaque tir. À raison de trois ou quatre par jour, il y avait là une réserve de
poudre pour environ deux semaines.
— Il fait noir comme dans un four, là-dedans, dit-il en
se retournant vers Robbie.
Mais Robbie ne répondit pas.
— Où es-tu ? le héla Thomas le moins fort
possible.
Mais il n’obtint pas davantage de réponse. Puis il entendit
une botte cogner contre un baril vide sous le porche et aperçut l’ombre
vacillante de son ami à la lueur nuageuse de la lime dans le cimetière.
Il attendit. Un feu de camp se consumait lentement non loin
de là, derrière la haie d’épines qui empêchait le bétail de s’approcher des
tombes. Il vit une ombre s’accroupir à côté des flammes qui se mouraient, et il
y eut soudain un éclair aveuglant. Robbie recula et Thomas, ébloui, ne put rien
voir de ce qui se passait. Il s’attendit à entendre des cris dans le village,
mais les seuls bruits audibles furent le grincement de la porte qui s’ouvrait
et le bruit des pas de son compagnon venu le rejoindre.
— J’ai pris un baril vide, expliqua Robbie, mais il
n’était pas aussi vide que je le croyais. Ou alors, la poudre entre dans le
bois.
Il se tenait sous le porche, le baril entre les mains. Il
l’avait utilisé pour ramasser des braises, les résidus de poudre avaient pris
feu, brûlant ses sourcils, et à présent, le feu jaillissait de l’intérieur du
petit tonneau.
— Qu’est-ce que je fais avec ça ? interrogea-t-il.
— Par le Christ ! s’exclama Thomas, voyant déjà
l’église sauter en l’air. Donne-le-moi !
Il attrapa le baril qui, par bonheur, n’était pas trop chaud
au toucher, et se précipita à l’intérieur de l’église, éclairé par les flammes.
Il jeta le bois en feu entre deux piles de barils pleins.
— Et maintenant, vite, dehors !
Mais Robbie n’était pas décidé.
— As-tu pensé au tronc pour les pauvres ?
argumenta-t-il. Si nous faisons sauter l’église, autant prendre le tronc pour
les pauvres avant.
Thomas l’attrapa par le bras pour l’entraîner dehors.
— Vite, dépêche-toi ! le pressa-t-il.
— C’est dommage de le laisser !
— Il n’y a pas de tronc pour les pauvres, pauvre idiot,
le village est plein de soldats !
Ils s’enfuirent en toute hâte, zigzaguant entre les tombes
et évitant la bombarde ventrue qui reposait sur son châssis de bois. Ils
escaladèrent une clôture qui comblait un trou dans la haie d’épines, puis
poursuivirent leur course échevelée en passant devant la grande arbalète cassée
en deux et devant les abris aux toits de terre sans prendre la moindre
précaution pour tempérer le bruit de leur cavalcade. Deux chiens se mirent à
aboyer, puis un troisième se joignit à eux et quelqu’un jaillit d’une tente.
— Qui va là ? cria l’homme en commençant à
préparer son arbalète.
Mais les deux fuyards étaient déjà loin, dans le terrain
découvert, où ils avançaient en trébuchant sur le sol inégal. La lune sortit
derrière le nuage, éclairant la vapeur blanche de leur souffle.
— Halte ! cria l’homme.
Thomas et Robbie s’arrêtèrent. Non à cause de l’injonction
qui leur avait été donnée, mais parce qu’une lueur rouge embrasait le ciel.
Cloués au sol, ils la contemplèrent avec fascination et le guetteur qui avait
voulu les arrêter les oublia.
La nuit s’était teintée d’écarlate. Thomas retint son
souffle, dans l’attente d’il ne savait quoi : une lance de feu qui
transpercerait les deux ? Un fracas de tonnerre ? Mais le silence
régnait, interrompu uniquement par un léger chuintement qui semblait
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