L'archer du Roi
visiblement, ignorait la faim,
continuait à presser son prisonnier de questions. Avec qui Thomas avait-il
voyagé jusqu’à Londres ? Que faisait-il dans le Dorset ? Avait-il
recherché le Graal à Hookton ?
Frère Cailloux remplissait les pages les unes après les
autres avec les réponses du captif. Au crépuscule, la pièce fut plongée dans
une pénombre interrompue seulement par les flammes du foyer et il dut allumer
les cierges pour pouvoir écrire. Lorsque, enfin, Taillebourg mit fin à son
interrogatoire, le jeune archer chancelait d’épuisement.
— Je vais prier et réfléchir à tes réponses cette nuit,
Thomas, annonça-t-il, et demain matin, nous continuerons.
— De l’eau, répondit Thomas d’une voix éraillée, il me
faut de l’eau.
— On va t’apporter à manger et à boire.
L’un des valets sortit les tisonniers du feu. Frère Cailloux
ferma le livre et décocha à Thomas un regard où ce dernier décela une lueur de
compassion.
On lui apporta une couverture, ainsi qu’un repas composé de
poisson fumé, de haricots, de pain et d’eau. L’une de ses mains fut délivrée pour
lui permettre de manger sous la surveillance de deux gardes en surcot noir.
Lorsqu’il eut terminé, ses geôliers refermèrent les menottes sur son poignet et
il sentit qu’on glissait une broche dans le fermoir, ce qui réveilla ses
espoirs. Dès qu’il fut seul, il essaya d’attraper la broche avec ses doigts,
mais ses efforts restèrent vains.
Il se coucha contre le mur, enveloppé dans la couverture,
les yeux fixés sur le feu qui se mourait en emportant avec lui les vestiges de
chaleur. Thomas tremblait de façon incontrôlée. Une fois de plus, il se tordit
les doigts pour essayer d’atteindre le fermoir, mais c’était impossible.
Soudain, il pensa à la douleur qui l’attendait peut-être, et il se mit à gémir
involontairement. La torture lui avait été épargnée jusqu’alors, mais cela
signifiait-il qu’il y avait échappé ? Ce ne serait que justice, à son
avis, car presque tout ce qu’il avait dit correspondait à la vérité. Il avait
dit à Taillebourg qu’il ignorait où se trouvait le Graal, qu’il n’était même
pas certain de son existence, qu’il avait rarement entendu son père en parler
et que son plus cher désir était de servir le roi d’Angleterre en qualité
d’archer et non point de partir à la quête du Graal. De nouveau, il ressentit
une terrible honte à l’idée d’avoir été capturé aussi facilement. S’il avait
été moins sot, il se trouverait à présent sur le chemin du retour, vers La
Roche-Derrien, les tavernes et les rires, et la bière, et la compagnie facile
des soldats. Les larmes lui montèrent aux yeux, ce qui augmenta sa honte. Des
rires montaient des profondeurs du château, et il crut déceler le son d’une
harpe.
Puis la porte s’ouvrit.
Dans le noir, il distingua une forme masculine. Le visiteur,
vêtu d’une large cape noire qui flottait autour de lui, traversa la salle comme
une ombre sinistre et s’arrêta devant la table.
L’homme regarda Thomas. Derrière lui, les dernières braises
du feu frangeaient de rouge les contours de sa haute silhouette.
— On me dit qu’il ne t’a pas livré au feu
aujourd’hui ? dit l’homme en noir.
Thomas ne répondit pas, emmitouflé dans sa couverture.
— Il aime faire brûler les gens, poursuivit le
visiteur. Vraiment, il aime cela. Je l’ai observé. Il frissonne de plaisir
quand il voit la chair faire des bulles.
Il se dirigea vers l’âtre, prit un tisonnier et le jeta dans
les braises rougeoyantes avant d’ajouter quelques bûches sur les flammes sur le
point de s’éteindre. Le bois était sec et le feu prit rapidement, éclairant la
pièce. Thomas vit l’homme distinctement.
Il était doté d’une face étroite et d’un teint mat, d’un
long nez, d’une mâchoire forte, et une cascade de cheveux noirs partait de son
grand front. C’était une belle tête, intelligente et dure. L’homme s’éloigna du
feu et son visage fut plongé dans l’ombre.
— Je suis ton cousin, annonça-t-il.
Une onde de haine parcourut les veines de Thomas.
— Tu es Guy Vexille ?
— Je suis le comte d’Astarac.
Guy Vexille s’avança lentement vers le jeune archer.
— Étais-tu à la bataille, dans la forêt de Crécy ?
— Oui.
— En tant qu’archer ?
— Oui.
— Et à la fin de la bataille, poursuivit Guy Vexille,
tu as crié trois mots en
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