L'archer du Roi
sans pour autant la quitter des yeux. Puis un cri lui fit
tourner la tête. Il provenait de la maison la plus proche, où l’Écossais,
entièrement nu, venait d’avoir été précipité au milieu du brasier. Les cheveux
en feu, il tournait sur lui-même en courant, battant frénétiquement les flammes
des deux mains pour la plus grande joie de ses ennemis. Deux autres prisonniers
écossais avaient été jetés non loin de là, maintenus au sol par des épées
dégainées.
Un archer recouvrit les cheveux du prisonnier d’un sac pour
éteindre les flammes, sous les yeux du cavalier maigre qui interrogea le malheureux :
— Vous êtes à combien ?
— On est des milliers ! répondit l’Écossais d’un
ton provocateur.
Le cavalier se pencha sur le pommeau de sa selle :
— Combien de milliers, pauvre fou ?
L’Écossais, malgré sa barbe et ses cheveux fumants, malgré
sa peau noircie par le feu et lacérée de coups, fit de son mieux pour arborer
un air de défi.
— Plus qu’il n’en faut pour vous ramener chez nous dans
une cage !
— Ça, c’est point des choses à dire à
l’Épouvantail ! commenta Dickon, amusé. Oh, pour ça, non !
— L’Épouvantail ? répéta Thomas.
Ce sobriquet semblait parfaitement convenir au personnage
maigre, pauvre et effrayant qui arborait une hache noire sur son blason.
— Pour toi ça sera sir Geoffrey Carr, manant ! le
reprit Dickon en couvant l’Épouvantail d’un œil admiratif.
— Et qui est sir Geoffrey Carr ?
— C’est l’Épouvantail et c’est aussi le seigneur de
Lackby, expliqua Dickon pour qui, à l’évidence, tout le monde savait qui était
sir Geoffrey Carr. Et là, ouvre bien l’œil, tu vas voir comment il fait
l’épouvantail.
Un sourire réjouit barra la face ronde de Dickon. Car son
maître vénéré, après avoir remis sa cravache à sa ceinture, avait mis pied à
terre et s’approchait du prisonnier, un couteau à la main.
— Maintenez-le au sol ! ordonna sir Geoffrey à ses
archers. Tenez-le et écartez-lui les jambes !
— Non ! protesta Eléonore.
Beggar, en entendant ce mot prononcé en français, grogna de
sa voix grave, sortie des tréfonds de son énorme poitrail :
— Mignonne !
L’Écossais hurla et tenta de se dégager, mais il fut jeté à
terre, puis maintenu par trois archers, tandis que l’homme apparemment connu
dans tout le nord sous le sobriquet de l’Épouvantail s’agenouillait au-dessus
de lui. Quelque part, trouant le brouillard, un corbeau croassa. Une poignée
d’archers surveillaient le nord, par où les Écossais pouvaient réapparaître,
mais la plupart gardaient les yeux rivés sur l’Épouvantail et son couteau.
— Tu veux les garder, tes pauvres couilles
ratatinées ? interrogea sir Geoffrey. Alors, j’écoute. Vous êtes à
combien ?
— Quinze mille, ou peut-être bien seize mille, répondit
l’Écossais, dont la langue s’était soudain déliée.
— Il veut dire dix ou douze mille, annonça sir Geoffrey
aux archers qui suivaient la scène, c’est plus que trop pour nos quatre
flèches. Et votre bâtard de roi est là aussi ?
L’Écossais hésita à répondre, mais la pointe du couteau qui
effleura son entrejambe le ramena à de meilleurs sentiments.
— Oui-da, David Bruce est là.
— Qui d’autre ?
Le malheureux Écossais donna les noms des chefs de son
armée. Le demi-frère du roi et héritier du trône, le seigneur Robert Steward,
accompagnait l’armée des envahisseurs, ainsi que les comtes de Moray, de March,
de Wigtown, Fife et Menteith. Il donna d’autres noms, ceux des chefs de clans
et des sauvages venus des étendues désertiques du nord. Mais deux noms
intéressèrent particulièrement Carr.
— Fife et Menteith ? répéta-t-il. Ils sont
là ?
— Oui-da, messire, ils sont là.
— Mais ils ont juré fidélité au roi Edouard, objecta
sir Geoffrey, qui, visiblement, doutait des paroles du prisonnier.
— Mais ils sont avec nous quand même, affirma
l’Écossais, et Douglas de Liddesdale aussi.
— Cette pourriture, s’exclama sir Geoffrey, ce suppôt
de l’enfer !
Il tourna la tête vers le nord, vers le rideau de brume qui s’évaporait
au-dessus de la crête en révélant un plateau rocheux s’étendant du nord au sud.
Au sommet du plateau, les prés formaient une bande étroite et la pierre érodée
saillait dans l’herbe, pareille à une cage thoracique. Vers le nord-est,
par-delà la vallée de
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