L'archer du Roi
ayant trouvé une couverture
dans le parc aux chariots, purent enfin répliquer.
Mais sir Thomas, de son côté, n’avait ni abri ni avantage.
Il n’avait que des forces très réduites à opposer à la grande armée de
l’ennemi, et ses hommes étaient contraints de reculer sous le nombre. Les écus
s’écrasaient contre les écus, les épées cognaient contre les heaumes, les
lances se frayaient un chemin sous les écus à travers les bottes. Un Breton
faisait tournoyer une hache. Il abattit deux Anglais et livra ainsi le passage
à des soldats portant le blason à l’hermine blanche qui se ruèrent à l’assaut
avec un cri de triomphe et massacrèrent à tour de bras. Un homme d’armes se mit
à hurler lorsque des haches vinrent tailler dans la cotte de mailles qui
recouvrait ses cuisses, puis une autre hache s’abattit sur son heaume et on ne
l’entendit plus.
Sir Thomas recula en chancelant, parant un coup d’épée.
Autour de lui, on courait se réfugier entre les tentes, mais les visières étant
baissées, les hommes allaient au hasard sans rien voir et se jetaient dans la
gueule du loup. Il abattit son épée sur un homme en heaume à bassinet, se
retourna et enfonça la lame dans un écu rayé de jaune et de noir, recula d’un
pas pour pouvoir porter un nouveau coup, puis ses pieds se prirent dans des
cordes de tente et il tomba à la renverse sur la toile.
Le chevalier en heaume à bassinet se tenait au-dessus de
lui ; sa plaque d’armure miroitait sous la lune et son épée était posée
sur la gorge de sir Thomas.
— Je me rends, se hâta de dire ce dernier.
Puis il répéta ses mots en français.
— Et vous êtes ? s’enquit le chevalier.
— Sir Thomas Dagworth, répondit le vaincu d’un ton
amer.
Il tendit son épée à son ennemi qui prit l’arme, puis releva
sa visière.
— Je suis le vicomte de Morgat, se présenta le
chevalier, et j’accepte votre reddition.
Il s’inclina sur sir Thomas, lui rendit son épée et lui
tendit la main pour l’aider à se relever. La bataille continuait toujours, mais
elle était sporadique à présent. Les Français et les Bretons pourchassaient les
survivants, achevaient les blessés dont ils ne pouvaient tirer rançon et
martelaient leurs chariots à coups de carreaux d’arbalète pour trucider les
archers anglais toujours réfugiés derrière.
Le vicomte de Morgat escorta sir Thomas jusqu’au moulin à
vent, où il le présenta à Charles de Blois. Un brasier était allumé à quelques
mètres de là, éclairant Charles qui se tenait sous les ailes du moulin, le
jupon maculé de sang, car il avait participé au combat contre les hommes
d’armes anglais. Il rengaina son épée toujours ensanglantée, enleva son heaume
à plumet et considéra le prisonnier qui l’avait déjà défait par deux fois.
— Je compatis, dit-il d’un ton froid.
— Et moi, je félicite Votre Grâce, dit sir Thomas.
— C’est à Dieu qu’appartient la victoire, répondit
Charles, et non à moi.
Mais, tout à coup, il ressentit un soudain accès
d’exaltation. Il avait réussi ! Il avait battu l’armée de campagne
anglaise en Bretagne et maintenant, aussi sûrement que l’aube succédait à la
plus noire des nuits, le duché allait tomber entre ses mains.
— La victoire n’appartient qu’à Dieu, prononça-t-il
pieusement.
Il se souvint alors qu’on était dimanche matin, et il se
tourna vers un prêtre pour lui ordonner de faire célébrer un Te Deum d’action
de grâces pour sa grande victoire.
Le prêtre hocha la tête, les yeux écarquillés, quoique le
duc n’eût pas encore parlé, puis il se mit à haleter et Charles s’aperçut
qu’une flèche d’une longueur inhabituelle était plantée dans son ventre. Aussitôt
après, un autre trait à empenne blanche vint se ficher dans le flanc du moulin.
Et un cri guttural, presque bestial, s’éleva dans la nuit.
Car même si sir Thomas avait été capturé et son armée
écrasée, la bataille, semblait-il, n’était pas tout à fait terminée.
14
Perché au sommet de la tour de la porte est, Richard
Totesham suivait les combats entre les troupes de sir Thomas et celles de
Charles. Il ne voyait pas grand-chose du haut de son perchoir, car les
palissades qui surmontaient les ouvrages de terre, les deux grands trébuchets
et le moulin à vent lui cachaient la plus grande partie de la bataille.
Toutefois, il en voyait assez pour constater que personne ne sortait des
Weitere Kostenlose Bücher