L'archer du Roi
sir Thomas, ainsi nous pourrons voir d’où vient le tir. » Arrosés
par les carreaux ennemis, les archers tiraient au petit bonheur la chance. Sir
Thomas risqua un œil de l’autre côté de la route et constata que le reste de la
troupe était pareillement assailli.
— La haie ! hurla-t-il, la haie !
Archers ! Il faut franchir la haie !
Un trait vint se ficher dans son écu, avec une telle
violence qu’il virevolta sur lui-même. Un autre vint siffler au-dessus de sa
tête. Un archer couché dans l’herbe se tordait de douleur, le ventre percé d’un
carreau.
D’autres blessés hurlaient aussi. Certains invoquaient saint
Georges, d’autres le diable, d’autres encore appelaient leur femme ou leur
mère. Les traits jaillissaient du noir et tombaient en pluie. Un archer recula,
un carreau dans l’épaule. Un autre criait de façon pitoyable, frappé au
bas-ventre. Un homme d’armes tomba à genoux, appelant Jésus à l’aide.
À présent, on entendait l’ennemi crier des ordres et des
insultes.
— La haie ! rugit sir Thomas.
« Il faut passer la haie, se disait-il, et peut-être
les archers pourront-ils voir leurs cibles. »
— Passez la haie ! aboya-t-il.
Quelques archers trouvèrent un espace fermé par des claies,
qu’ils enfoncèrent à coups de pieds pour s’y ruer.
C’est alors que dans la nuit qui vibrait sous la violence
des traits, quelqu’un attira l’attention de sir Thomas sur ce qui se passait
derrière lui. Il se retourna et vit une masse d’arbalétriers regroupés pour
couper sa retraite, et de nouvelles forces qui étaient en train de pousser ses
hommes au cœur du campement. « Bon Dieu, se dit-il, c’était un
piège ! » Charles l’avait attiré à dessein dans le campement, il
s’était laissé prendre et maintenant, il se retrouvait encerclé. Il ne lui
restait plus qu’à se battre avec l’énergie du désespoir.
— Passez la haie ! tonna-t-il. Passez cette
maudite haie !
Il zigzagua entre les cadavres de ses hommes, s’élança dans
la brèche et chercha un ennemi à tuer, mais ce fut pour constater que les
hommes de Charles s’étaient mis en ordre de bataille, tous en armure, la
visière baissée et l’écu levé. Quelques archers tiraient, envoyant leurs
flèches s’écraser dans les écus, les ventres, les poitrines et les jambes, mais
ils étaient trop peu nombreux et les arbalétriers, toujours dissimulés derrière
les haies, les murs ou les pavois, s’en donnaient à cœur joie.
— Ralliez-vous au moulin ! cria sir Thomas, car c’était
le point le plus visible.
Son projet était de rassembler ses hommes, de former des
rangs et de commencer à se battre de façon ordonnée. Mais les arbalétriers se
rapprochaient par centaines, et ses hommes effrayés s’éparpillaient en courant
se réfugier dans les tentes et les abris.
Sir Thomas, au comble de la rage, jurait tant et plus. Les
rescapés de sa deuxième division l’avaient rejoint, mais les hommes étaient
empêtrés dans les tentes et trébuchaient sur les cordes, tandis que les
carreaux d’arbalète fusaient toujours dans l’obscurité, déchiraient les toiles
et allaient percer les corps de son armée moribonde.
— En formation, ici ! Ici ! glapit-il,
choisissant un espace entre trois tentes.
Aussitôt, une vingtaine de soldats répondirent à son appel, mais
leur mouvement n’échappa pas aux arbalétriers qui les arrosèrent de traits dans
les allées qui séparaient les tentes. Puis ce fut au tour des hommes d’armes
ennemis de les arrêter, écu levé, et les archers s’égaillèrent de nouveau,
essayant de trouver un terrain propice pour reprendre leur souffle, trouver un
peu d’abri et repérer des cibles.
Les bannières des seigneurs français et bretons furent
avancées et sir Thomas, les voyant, sentit monter une nouvelle bouffée de rage
à l’idée qu’il s’était jeté tête baissée dans ce piège et qu’il avait été
dûment battu.
— Tuez ces bâtards ! glapit-il.
Et il mena ses hommes vers l’ennemi le plus proche. Les
épées résonnèrent alors dans la nuit, au cours d’un furieux corps à corps qui
présentait au moins l’avantage de réduire les arbalétriers à l’impuissance,
sous peine d’atteindre les hommes d’armes anglais.
Les Génois en profitèrent donc pour entreprendre de
pourchasser leurs ennemis personnels, ces archers anglais qu’ils haïssaient
tant. Par bonheur, quelques-uns parmi ces derniers,
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