L'archer du Roi
trois
autres campements français pour venir à la rescousse de Charles dans son fort.
— Étrange. Chacun reste dans son coin, commenta-t-il à
l’adresse de Will Skeat qui se tenait à ses côtés.
— Ah, c’est toi, Dick ! s’exclama le vieil archer.
— Oui, c’est moi, Will, répondit Totesham avec
patience.
Skeat avait revêtu sa cotte de mailles et une épée pendait à
son flanc. Le chef de la garnison posa une main sur l’épaule de son vieil ami.
— Tu ne comptes point te battre, cette nuit, hein,
Will ?
— Eh bien, si ça tourne au vinaigre, répondit Skeat,
j’aimerais me rendre utile.
— Laisse ça aux jeunes, Will. Toi, tu vas rester ici et
tu vas me garder la ville. C’est entendu ?
Skeat confirma son accord d’un hochement de tête et Totesham
retourna à son poste d’observation. Il était impossible de dire de quel côté
penchait la victoire, car il n’avait vue que sur les ennemis, et ils lui
tournaient le dos. Malgré tout, de temps à autre, une flèche fendait l’air en
reflétant la lumière d’un feu, preuve que les hommes de sir Thomas se battaient
toujours. Mais comme personne ne venait à la rescousse de Charles de Blois
depuis les autres forteresses, le chef de la garnison en déduisit que c’était
mauvais signe. Car cela prouvait que le duc n’en avait pas besoin, ce qui, en
revanche, prouvait que sir Thomas Dagworth, lui, avait besoin de renforts.
Totesham se pencha au-dessus du parapet.
— Ouvrez la porte ! cria-t-il.
Il faisait toujours nuit. L’aube ne se lèverait pas avant
deux heures, mais la lune brillait dans le ciel et les feux allumés dans le
camp ennemi jetaient une vive lumière. Totesham se précipita au bas des
remparts tandis que ses gens retiraient les tonneaux remplis de pierres qui
barraient le passage, puis soulevaient l’énorme barreau qui n’avait pas été
bougé de tout le mois. La porte s’ouvrit en grinçant et les applaudissements fusèrent
de toutes parts, à la contrariété de Totesham qui craignait d’alerter l’ennemi.
Il alla retrouver ses hommes d’armes et se mit à leur tête pour aller se
joindre au flux de soldats et de citoyens qui déferlait par la porte.
Thomas montait à l’assaut aux côtés de Robbie et de messire
Guillaume accompagné de ses deux hommes d’armes. Will Skeat, en dépit de sa
promesse à Totesham, avait fait son apparition, mais Thomas l’avait repoussé
sur les remparts en lui recommandant d’observer la bataille de là-haut.
« Tu n’es pas encore d’attaque, Will, avait-il objecté.
— Si tu le dis, Tom », avait maugréé Skeat avant
de remonter les marches.
Lorsqu’il fut dehors, le jeune archer se retourna et aperçut
Skeat sur la tour. Il leva la main pour lui faire signe, mais le vieux soldat
ne le vit pas, ou, s’il le vit, ne le reconnut pas.
Se retrouver à l’extérieur des portes fermées depuis si
longtemps avait quelque chose d’étrange. L’air était plus frais, et on était
délivré de la puanteur des ordures.
L’armée de fortune suivit la route qui courait tout droit
sur trois cents pas avant de disparaître sous la palissade qui protégeait les
plates-formes de bois sur lesquelles étaient montés Passage pour l’Enfer et
Faiseur de Veuves. Cette palissade était assez haute, plus haute qu’un homme,
et quelques archers s’étaient munis d’échelles pour franchir l’obstacle. Mais
Thomas présumait que ces clôtures ne résisteraient pas longtemps, car elles
avaient été construites à la hâte. Il courait, toujours embarrassé par ses
orteils estropiés, en s’attendant à voir les arbalétriers entrer en action à
tout moment, mais aucun trait ne vint siffler à leurs oreilles. Sans doute les
ennemis étaient-ils occupés avec les hommes de Dagworth.
Puis les premiers archers de Totesham atteignirent la
palissade et les échelles furent dressées mais, comme Thomas l’avait prévu, la
lourde clôture s’effondra sur toute une longueur sous le poids des assaillants.
Car les talus et les palissades n’avaient pas été prévus pour parer une attaque
ennemie, mais pour protéger les arbalétriers qui, de leur côté, ne savaient
toujours pas que les assiégés avaient fait une sortie. Aussi l’ouvrage
n’était-il pas défendu.
Quatre ou cinq cents hommes franchirent le passage en
piétinant la palissade écroulée. La plupart n’étaient pas des soldats
entraînés, mais des gens de la ville animés d’une féroce
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