L'archer du Roi
encore plus pour entendre la réponse de
vieillard :
— Il disait qu’on pouvait trouver le Graal sans même le
savoir, parce qu’il fallait le mériter d’abord.
Il se tut, paraissant réfléchir. Une expression perplexe,
presque incrédule, se peignit brièvement sur ses traits. Puis il reprit :
— Il faut le mériter, disait-il, pour connaître le
Graal. Mais il disait aussi que pour celui qui le méritera, le Graal brillera
comme le soleil. Celui-là en sera ébloui.
Taillebourg se pencha encore un peu plus.
— Et vous croyiez ce qu’il disait ?
— Moi, je croyais que Ralph Vexille était fou.
— Il arrive que les fous disent la vérité.
— Moi, je crois que Dieu a donné à Ralph Vexille un
fardeau trop lourd à porter, poursuivit le moine sans prêter attention à la
réflexion de l’inquisiteur.
— Vous parlez du Graal ?
— Seriez-vous capable de le porter ? Moi, non.
— Eh bien, où est-il ? martela Taillebourg. Où
est-il ?
— Comment le saurais-je ? balbutia le vieux moine,
perdu.
— Il n’était pas à Hookton, reprit Taillebourg. Guy
Vexille a cherché sans rien trouver.
— Guy Vexille ?
— Celui qui est venu du sud, mon frère, afin de
combattre pour la France. Il est tombé entre mes mains. C’est mon prisonnier.
— Le pauvre, compatit le moine.
L’inquisiteur secoua la tête.
— Il m’a suffi, de lui montrer le chevalet, de lui
faire tâter les pinces et respirer l’odeur de la fumée. Puis je lui ai offert
la vie sauve et il m’a dit tout ce qu’il savait. Il m’a appris que le Graal
n’était pas à Hookton.
Le vieillard grimaça un sourire.
— Vous ne m’avez pas entendu, mon père. Lorsqu’on ne le
mérite pas, le Graal ne se révèle pas. Guy Vexille ne le méritait sans doute
pas.
— Cependant, le père Ralph le possédait
réellement ? insista Taillebourg, cherchant à se rassurer. Vous pensez
qu’il le possédait vraiment ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit.
— Mais vous croyez qu’il l’avait ?
Devant le silence du mourant, l’inquisiteur hocha la tête.
— Oui, vous le croyez, j’en suis sûr.
Il se leva et se mit à genoux, joignant les mains dans une
attitude de crainte respectueuse.
— Le Graal ! prononça-t-il avec vénération.
— Il était fou, l’avertit le vieux moine.
Mais Taillebourg n’écoutait plus.
— Le Graal… dit-il. Le Graal… répétait-il en français,
en s’inclinant et en se relevant alternativement, en pleine extase. Le Graal…
— Les fous racontent des choses, mais ils ne savent pas
ce qu’ils racontent, dit le vieux moine.
— À moins que ce ne soit Dieu qui parle par leur
bouche ! riposta violemment le dominicain.
— Si c’est le cas. Dieu a parfois une langue
terrible ! répliqua le vieux moine.
— Il faut me répéter tout ce que le père Ralph vous a
dit.
— Mais c’était il y a si longtemps !
— Il s’agit du Graal ! s’écria Taillebourg en
secouant le vieil homme dans son dépit. Il s’agit du Graal ! Ne me dites
pas que vous avez oublié !
Tournant la tête vers la fenêtre, il vit au loin, sur la
crête, le sautoir [2] rouge qui ornait la bannière du roi d’Écosse. Sous la bannière s’agitait une
masse grise d’hommes en cotte de mailles, hérissée de lances, de piques et
d’épieux. Nul ennemi anglais n’était en vue.
Mais toutes les armées de la chrétienté pouvaient bien se
rassembler à Durham, le dominicain n’en avait cure. Car il avait trouvé sa
vision, le Graal, et même si la terre devait trembler sous le poids des armées
tout autour de lui, il ne s’en laisserait pas détourner.
Et un vieux moine parla.
Le cavalier à la cotte de mailles rouillée, à l’armure aux
attaches cassées et à l’écu orné d’une coquille Saint-Jacques se présenta comme
lord Outhwaite de Witcar.
— Vous connaissez Witcar ? demanda-t-il à Thomas.
— Witcar, Monseigneur ? Je n’en ai jamais entendu
parler.
— Pas entendu parler de Witcar ! Pauvre de
vous ! Alors que c’est un lieu si plaisant, vraiment très plaisant. Avec
une bonne terre, une eau douce, une excellente chasse. Ah, te voilà !
Ces derniers mots étaient adressés à un petit garçon monté
sur un immense cheval qui menait un deuxième destrier par les rênes. Il portait
un jupon orné du blason rouge et jaune à l’effigie de la coquille
Saint-Jacques. Tirant le cheval de guerre derrière lui, il se dirigea vers
Weitere Kostenlose Bücher