L'archer du Roi
silence.
— Je veux que les archers avancent, mais seulement les
archers ! Archers, aiguillonnez-les ! Piquez-les !
Tuez-les ! Et que Dieu vous bénisse ! Que Dieu tout-puissant vous
bénisse !
Ainsi, les archers ouvriraient les hostilités. Les Écossais
refusaient obstinément de bouger dans l’espoir de voir les Anglais lancer
l’attaque, car il était bien plus aisé de défendre le terrain que d’assaillir
un ennemi en formation, mais, à présent, c’était décidé : les archers
anglais aiguillonneraient, piqueraient et harcèleraient l’ennemi jusqu’à ce
qu’il s’enfuie, ou, plus probablement, qu’il avance pour prendre sa revanche.
Thomas avait déjà choisi sa meilleure flèche. Elle était
neuve, si neuve que la glu colorée de vert qu’il avait passée sur le fil
maintenant les plumes en place était toujours collante. La tige était
légèrement renflée derrière la tête et ensuite taillée en pointe vers
l’empennage. Un tel trait frapperait fort. C’était un joli morceau de frêne
bien droit, dépassant son bras d’un tiers. Il ne le gâcherait pas, même si son
premier tir devait être un tir à très longue portée.
Ce serait une très longue portée, car le roi d’Écosse se
trouvait à l’arrière de la grande division centrale de son armée, mais ce ne
serait pas un tir impossible, car son arc noir était immense et lui-même était
jeune, fort et expérimenté.
— Que Dieu soit avec toi, dit frère Michael.
— Visez bien ! cria lord Outhwaite.
— Que Dieu fasse voler vos flèches ! cria l’archevêque
d’York.
Les tambours battirent plus fort, et tandis que les huées
jaillissaient des poitrines écossaises, les archers d’Angleterre marchèrent en
avant.
Bernard Taillebourg connaissait déjà une grande partie de
l’histoire que lui contait le vieux moine, mais il n’interrompit pas le cours
du récit. C’était l’histoire d’une famille de seigneurs dont le fief était
situé dans un comté du sud de la France. Ce comté s’appelait Astarac. Comme il
jouxtait les pays cathares, il fut contaminé par l’hérésie.
« Le mauvais enseignement se répandit comme une
mauvaise fièvre, avait raconté frère Collimore. De la mer Méditerranée jusqu’à
l’océan, et au nord, jusqu’en Bourgogne. »
Le père Taillebourg savait tout cela, mais il n’avait rien
dit, se contentant de laisser parler le vieil homme. Celui-ci lui apprit que,
après que les Cathares eurent été extirpés du pays par le feu et que les
flammes de leurs bûchers eurent envoyé la fumée jusqu’aux cieux pour annoncer à
Dieu et à ses anges que la vraie religion avait été restaurée dans les terres
de France et d’Aragon, les Vexille, qui avaient fait partie des derniers nobles
souillés par le mal cathare, avaient fui jusqu’aux confins les plus lointains
de la chrétienté.
— Mais en partant, précisa-t-il, le regard fixé sur la
voûte blanche du plafond, ils ont emporté les trésors des hérétiques pour les
mettre en sûreté.
— Et le Graal en faisait partie ?
— C’est ce qu’on dit, mais comment savoir ?
Frère Collimore tourna la tête vers son interlocuteur et le
regarda d’un air pensif.
— S’ils possédaient le Graal, pourquoi ne les a-t-il
pas aidés ? poursuivit-il. C’est une chose que je n’ai jamais comprise.
Il ferma les yeux. De temps en temps, le vieil homme
s’arrêtait pour reprendre sa respiration et paraissait s’assoupir. Le
dominicain se rendait alors près de la fenêtre pour observer les deux armées
postées sur la lointaine colline. Elles étaient toujours immobiles, mais il
résonnait dans l’air le grondement d’un gigantesque brasier ronflant et
crépitant. Le ronflement était le bruit des voix, et le crépitement celui des
tambours. Les deux sons montaient et redescendaient au gré du vent qui
soufflait en rafales dans le défilé rocheux qui surplombait la rivière Wear. Le
valet du père Taillebourg n’avait pas quitté son poste près de la porte, à demi
caché par l’un des innombrables tas de pierres qui s’empilaient dans l’espace
compris entre le château et la cathédrale. Des échafaudages masquaient l’une
des tours de la cathédrale et les petits garçons, qui voulaient profiter du spectacle
de la bataille, s’amusaient à escalader l’entrelacs de pieux pour rejoindre les
maçons, qui avaient abandonné leur besogne.
Frère Collimore, épuisé, sombra dans un bref
Weitere Kostenlose Bücher