L'archer du Roi
part des Écossais. Certains
n’hésitèrent pas à s’avancer à portée de flèche pour se faire mieux entendre
des Anglais, qu’entre autres compliments, ils traitaient de porcs et leurs
mères, de truies.
Un archer, n’y tenant plus, leva son arme, mais son
capitaine le rappela à l’ordre :
— On ne gâche pas ses flèches pour des mots !
Pendant ce temps, les Écossais s’enhardissaient de plus
belle, s’approchaient toujours plus près.
— Vous n’êtes qu’une bande de couards ! hurla l’un
d’eux. Vous êtes des bâtards et des poltrons ! Vos putes de mères vous ont
allaités à la pisse de chèvre ! Vos femmes sont des truies ! Des
ribaudes et des truies ! Vous entendez ? Vils bâtards ! Bâtards
d’Anglais ! Vous êtes la merde du diable !
Emporté par sa haine, l’homme, un sauvage à la barbe
hérissée, tremblait de la tête aux pieds. Son jupon était en loques et sa cotte
de mailles, déchirée dans le dos. Afin de bien souligner ses paroles, il se
retourna et se pencha en présentant ses fesses nues à l’ennemi. Mais ce geste,
qui se voulait insultant, fut accueilli par des rires et des railleries.
— Ils vont bien finir par nous attaquer, prédit lord
Outhwaite. Il le feront tôt ou tard, sous peine de repartir les mains vides, et
ce n’est point concevable. On ne lève pas une armée comme celle-ci sans espoir
d’en tirer quelque profit.
— Ils ont mis Hexham à sac, ils se sont déjà rempli les
poches, objecta le prieur d’un air sombre.
— Ils n’en ont retiré que brimborions ! Hexham
avait pris la précaution de mettre ses trésors en lieu sûr bien avant. Quant à
Carlisle, j’ai ouï dire qu’elle les a payés assez cher pour être épargnée, mais
certainement pas assez pour enrichir huit ou neuf mille hommes !
À l’adresse de Thomas, il précisa en secouant la tête d’un
air désapprobateur :
— Ces soldats ne sont pas payés, ils ne sont pas comme
les nôtres. Le roi d’Écosse n’a pas de quoi payer ses troupes. Non,
aujourd’hui, ce qu’ils veulent faire, c’est faire quelques riches prisonniers,
et ensuite, aller piller Durham et York. Mais s’ils ne veulent pas rentrer chez
eux aussi pauvres qu’avant, ils feraient bien de lever leurs boucliers et de
venir à nous.
Mais les Écossais ne bougeaient toujours pas, et les Anglais
étaient trop peu nombreux pour donner l’assaut, même grossis par les nouvelles
recrues qui arrivaient constamment pour renforcer les troupes de l’archevêque.
C’étaient pour la plupart des hommes du cru, sans armure, et possédant pour toute
arme l’outil, la hache et la pioche qu’ils maniaient à la ferme.
Il était près de midi à présent et le soleil avait chassé la
fraîcheur. Thomas transpirait sous sa cuirasse. Deux valets laïques du prieur
étaient arrivés avec une charrette transportant des tonneaux de petite bière,
des sacs de pain, une caisse de pommes et un grand fromage. De jeunes moines
entreprirent incontinent de distribuer ces vivres dans les lignes anglaises.
Réduits à l’inactivité, les soldats des deux camps prenaient
leurs aises. Ils s’étaient assis pour la plupart, et certains s’étaient
endormis. Les joueurs de tambour eux-mêmes, découragés par l’inutilité de leurs
efforts, avaient posé leurs instruments dans l’herbe.
Des corbeaux tournaient en rond au-dessus d’eux. Thomas se signa
devant ce sinistre présage. Mais bientôt, il fut soulagé car les oiseaux de
mauvais augure s’éloignèrent vers les lignes ennemies.
Voyant des archers fraîchement arrivés de la ville entasser
des flèches dans leur carquois, il en déduisit qu’ils n’avaient jamais
participé à une bataille, car le carquois n’y était pas de mise. Avec ces
accessoires, on perdait ses flèches quand on courait, et, de plus, leur
contenance était réduite. Les archers tels que lui utilisaient de grands sacs
de lin tendus sur une armature d’osier, dans lesquels les flèches restaient à
la verticale. Ainsi, l’empennage ne risquait pas d’être écrasé par l’armature,
et les pointes de fer ne jaillissaient pas hors du col, qui était fermé par un
lien.
Il avait soigneusement choisi ses flèches en éliminant
celles dont le bois était gauchi ou les plumes abîmées. En France, où beaucoup
de chevaliers ennemis possédaient des armures de prix, les Anglais utilisaient
des flèches à têtes longues, étroites et lourdes, dénuées de barbillon, plus
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