L'armée perdue
des tués.
Quand cette boucherie fut terminée, l’armée se retourna et se joignit à l’arrière-garde de Xéno qui s’apprêtait alors à se replier, ce qui galvanisa les combattants. Le cri de guerre retentissait à tout instant, porté par des centaines, des milliers de voix, et quand les hurlements, les sonneries de trompette et le son pénétrant des flûtes cessèrent enfin, les éclaireurs à cheval se précipitèrent sur la crête, d’où l’on pouvait embrasser du regard la terre qui s’étendait au pied de la hauteur.
Étrangement, il n’y eut pas de cris d’exultation. Sans doute le spectacle qui s’offrait à leurs yeux suffisait à réprimer leur enthousiasme. Xéno poussa Halys sur la pente et sauta à terre, une fois parvenu au sommet. Il s’aperçut alors, non sans effroi, que le fleuve qui nous avait servi de guide avait disparu !
24
L’armée entière fut saisie d’effroi : elle avait supporté les épreuves les plus dures et les souffrances les plus atroces, elle avait subi la perte de nombreux compagnons qui s’étaient péniblement traînés à travers des territoires âpres et désolés dans l’espoir de trouver une route sûre, capable de les mener à la fin de toutes leurs peines, au salut et à la mer. Et voilà que cet espoir s’évanouissait en un instant, au moment même où l’on aurait dû fêter une victoire supplémentaire.
Nétos s’approcha, un sourire moqueur aux lèvres. « Ton fleuve s’est volatilisé. Et maintenant, que faisons-nous ? »
Xéno contemplait sans mot dire la blanche étendue.
« Alors ? insista Nétos.
— Alors rien. Le fleuve n’a pas disparu. Cette vallée est exposée au vent du nord. L’eau a gelé et la neige l’a recouverte. Nous le localiserons à la lumière du jour.
— Ah oui ? Et après ? Nous attendrons le dégel ? Pourquoi pas ? Mais quand ton fleuve se remettra à couler, nous ne serons plus là, car il n’y a ici ni village, ni abri, ni possibilité de ravitaillement. »
Sophos mit fin à leur querelle. « Nous bivouaquerons ici. Nous prendrons une décision demain, à la lumière du jour. Ceux qui nous ont attaqués ne sont pas tombés du ciel : leurs villages se situent certainement dans les environs. En attendant, allez ramasser du bois et allumez des feux. Le ciel est dégagé, la nuit sera très froide. »
Ainsi, les guerriers qui s’étaient battus et qui avaient vaincu déposèrent lances et boucliers, s’emparèrent de haches et, malgré la fatigue, entreprirent de couper du bois.
Xéno s’unit à eux, après m’avoir priée de bander ses blessures.
Notre domestique dégagea un espace suffisant et planta la tente, à la base de laquelle il entassa de la neige. J’étendis au sol nos peaux, nos couvertures et nos capes puis allumai la lampe. Xéno trouverait à son retour un semblant de foyer et un peu de tiédeur. Le campement naissait peu à peu, tente après tente, abri après abri, parfois de simples peaux attachées à trois lances croisées.
Les premiers fagots arrivèrent et les premiers feux surgirent, signe que la vie continuait. Je puisai des braises dans un pot en terre cuite et les portai dans la tente afin de la réchauffer. Je cherchais de l’orge à griller et à piller dans un mortier pour le dîner, quand mon regard tomba sur le coffret de Xéno. J’aurais donné n’importe quoi pour apprendre ce qu’il avait écrit tandis que nous suivions le fleuve… Mélissa ! Peut-être comprenait-elle les signes des Grecs et savait-elle les transformer en mots !
Je partis à sa recherche et la dénichai dans le camp des Arcadiens.
« J’ai besoin de toi, lui dis-je.
— Que veux-tu ?
— Viens, je t’expliquerai en chemin. »
Je m’immobilisai à l’entrée de notre tente. « Comprends-tu les signes écrits ?
— Tu veux savoir si je sais lire ? Bien sûr ! Une femme de mon niveau doit savoir lire, écrire, chanter et danser.
— Alors entre et lis ce qui est écrit ici. » J’ouvris le coffret.
« Tu es folle ? Si Xéno nous surprend, il nous fracassera le crâne !
— Non, il est en train de couper du bois. Il ira ensuite s’entretenir avec Sophos à propos de ce que nous ferons demain. Il le fait tous les soirs. Mais ne t’inquiète pas. Je me tiendrai à l’entrée et t’écouterai lire. S’il devait arriver, je t’avertirais de façon que tu ranges le rouleau. Il se demandera pourquoi tu te trouves ici et je répondrai que je
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