L'armée perdue
est et ce qu’il doit faire. »
Cléarque ressortit, l’air sombre, et rejoignit ses quartiers. Il appela son aide de camp : « Je vais convoquer l’armée en assemblée. Tu iras trouver certains de mes hommes. Quand je donnerai la parole aux soldats, ils devront intervenir selon les instructions que tu leur transmettras. Écoute-moi bien, la situation est grave.
— Je t’écoute, général. »
L’aide de camp quitta la tente un peu plus tard et s’enfonça dans le campement à la recherche des hommes qu’il devait instruire. Cléarque patienta en faisant les cent pas et en élaborant tout bas son discours. Quand l’aide de camp fut de retour, il ordonna qu’on sonne le rassemblement.
Les choses s’annonçaient mal. Les visages des soldats étaient courroucés, des discussions et des altercations éclataient çà et là. Nombre d’entre eux s’écrièrent à son passage : « Tu nous as trompés ! Nous voulons rentrer chez nous ! Nous n’avons pas été enrôlés dans ce but ! » Mais lorsque Cléarque monta sur la petite tribune dressée pour son allocution, le silence s’abattit sur la foule. Tête basse, sombre, le général en chef sentait tous les regards converger vers lui, y compris celui de Xéno, qui se tenait à l’écart et observait la scène afin de la transcrire.
« Soldats ! Ce matin, quand je vous ai ordonné de marcher, vous avez refusé, vous avez désobéi, vous m’avez même jeté des pierres ! »
Un grognement parcourut les rangs.
« Vous ne voulez pas continuer. Cela signifie que je ne pourrai pas tenir la promesse que j’ai faite au prince Cyrus, à savoir que nous le suivrions dans cette expédition.
— Personne ne nous a dit que nous devrions le suivre en enfer ! s’exclama un homme.
— Je suis votre général, mais je suis aussi un mercenaire comme vous, et je ne puis donc exister sans vous. Où vous allez, j’irai aussi. En outre, je suis grec. Et si je dois choisir entre les Grecs et les Barbares, il ne fait aucun doute que je choisirai le camp des Grecs. Vous voulez repartir ? Vous ne voulez plus me suivre ? Très bien, je suis avec vous. Vous êtes mes hommes, par Zeus ! Nombre d’entre vous se sont déjà battus à mes côtés en Thrace. Et j’ai sauvé la peau de quelques-uns, n’est-ce pas ? Et deux d’entre vous, au moins, ont sauvé la mienne. Je ne vous abandonnerai jamais ! Vous m’avez bien compris ? Jamais ! »
Des applaudissements retentirent. Les hommes étaient fous de joie. On rentrait enfin. C’est alors qu’un messager se présenta de la part de Cyrus : « Le prince veut te voir immédiatement, annonça-t-il.
— Dis-lui que je ne peux pas, répondit Cléarque tout bas. Dis-lui aussi de ne pas s’inquiéter : je résoudrai la situation. Mais qu’il continue à me dépêcher des messagers, même si je refuse d’aller le trouver. »
L’homme acquiesça, perplexe, et s’éloigna en toute hâte.
« Cet homme était un messager de Cyrus. Je l’ai renvoyé ! »
Il y eut d’autres applaudissements.
« Nous devons maintenant organiser notre retour. Hélas ! les choses ne sont pas simples. Surtout, elles ne dépendent pas de nous. Cyrus dispose d’une armée d’Asiatiques dix fois plus importante que la nôtre.
— Ils ne nous font pas peur ! hurla un soldat.
— Je le sais, mais ils peuvent nous faire beaucoup de mal. En admettant que nous l’emportions, les pertes seraient énormes. »
L’un des hommes de Cléarque qui s’étaient disposés au milieu de l’assemblée prit alors la parole :
« Nous pourrions lui demander de nous donner sa flotte pour nous permettre de rentrer.
— Nous pourrions, répondit Cléarque. Mais je préfère m’en abstenir.
— Pourquoi ?
— Premièrement, la flotte n’est pas encore arrivée, et rien ne dit qu’elle arrivera bientôt. Deuxièmement, il est clair que Cyrus ne nous versera plus un sou. Avec quoi paierons-nous la traversée ? Aucune flotte ne nous embarquera gratuitement, même si elle rentre à vide. Comment croyez-vous que réagira Cyrus une fois que nous aurons fait échouer ses projets ? Je le connais bien. Il peut être généreux avec ceux qu’il apprécie, mais il est capable de tuer ceux qui lui désobéissent. N’oublions pas qu’il possède des soldats, de l’argent, des navires de guerre. Et que nous sommes seuls. »
Un bruissement d’effroi parcourut les rangs.
« Et, en admettant qu’il accepte, il
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