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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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tentes et leurs armes. Il y avait de la nourriture en abondance.
    C’était un moment difficile : chacun s’était habitué à déposer ses bagages sur un chariot, à les retrouver facilement, et voilà qu’il fallait les emballer tant bien que mal pour les placer sur le bât d’un âne ou d’un mulet. On entendit des altercations et des imprécations, qui cessèrent bientôt. Le spectacle qui se présentait à nos yeux imposait le silence : une chape noire, des nuages lourds que traversaient de temps à autre des éclairs éblouissants, ramifiés et sinueux comme des serpents, dominaient les montagnes au nord, tandis que l’écho du tonnerre se répandait dans la vallée, rebondissant sur les sombres éperons rocheux. Je devinais ce que les hommes pensaient : C’est là que nous devons aller.
    Nous abandonnions une contrée hostile, néanmoins dominée par la lumière et la chaleur du soleil, pour nous enfoncer dans le royaume de la nuit et des tempêtes. En nous tournant vers le sud, nous sentions encore le souffle tiède de la terre située entre les deux fleuves nous caresser le visage. En regardant vers le nord, nous percevions l’écho lointain et menaçant de la bourrasque. Nous étions aux confins de deux mondes ennemis, et si l’un représentait l’hostilité des hommes, l’autre promettait celle des éléments.
    Les éclaireurs vinrent rapporter ce qu’ils avaient vu : Tissapherne avait fait brûler les derniers villages, le long du fleuve, pour nous empêcher de nous ravitailler. Nos cavaliers avaient croisé des centaines de paysans désespérés qui fuyaient avec leurs familles, emportant ce qu’ils pouvaient.
    J’essayais de comprendre les pensées de ces gens qui avaient probablement vécu dans la paix depuis leur naissance, qui avaient mené la même existence que les habitants de mon village, une existence pauvre et monotone mais paisible et sûre, et qui, soudain privés de tout, regardaient sans mot dire le feu anéantir leur passé, leur présent et leur avenir.
    La guerre.
    Quand Xéno s’allongea près de moi, je lui demandai : « De quoi vivrons-nous ?
    — De ce que nous trouverons. »
    J’en restai là. J’avais très bien compris le sens de sa réponse : nous avancerions en consommant les ressources des territoires que nous traverserions, telle une nuée de corbeaux, tel un essaim de sauterelles, décimant la terre sur notre passage. À présent, les hommes se reposaient en songeant peut-être aux femmes et aux enfants qu’ils avaient laissés chez eux. Demain, ils redeviendraient les Dix Mille, les démons de la guerre. Ils dissimuleraient leur humanité derrière leur casque, car il leur faudrait, jour et nuit, pendant des décades ou des mois, peut-être pendant des années, vaincre ou mourir.
    Le lendemain, nous vîmes de la fumée monter de la plaine et constatâmes que l’armée de Tissapherne occupait le Grand Carrefour. Les Perses craignaient encore que nous rebroussions chemin ! Mais comment songer à affronter le plus puissant empire de la terre !
    Nous nous engageâmes sur un sentier qui longeait un torrent tourbillonnant et courant se jeter dans le Tigre. Un des guerriers tenta d’en mesurer la profondeur, mais sa lance plongea tout entière sans en toucher le fond.
    Nous avions chargé nos bagages sur trois mulets, attachés l’un à l’autre en un petit convoi. Je marchais en tête, tenant le premier par son licol. En vain, je cherchai du regard Mélissa. L’armée se dirigeait en une longue file vers un col qui se détachait d’autant plus nettement devant nous que les rayons du soleil éclairaient les sommets en les sculptant sur le fond noir des nuages.
    Nous entamâmes notre ascension sur un sentier parsemé de pierres aiguës, qui dominait la vallée et surplombait le torrent bouillonnant. Les flancs de la montagne étaient couverts de bois, d’arbres séculaires au tronc énorme et rugueux. J’avançais laborieusement : c’était la première fois que je cheminais en montagne. Les pierres me blessaient les pieds, mais un grand enthousiasme s’emparait de moi au fur et à mesure que je grimpais.
    Les changements constants de perspective, l’extension du champ de vision à chaque lacet me remplissaient d’émerveillement et de stupeur, moi qui étais habituée à parcourir de longues distances sur une immense steppe.
    Quand je me retournai, mon attention fut attirée par deux images : la première, lointaine, était celle de

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