L'assassin de Sherwood
venir avec nous ?
— N’est-ce pas dangereux ?
— Oh, si ! Mais que puis-je faire d’autre ? Me claquemurer dans la forteresse comme une veuve en grand deuil ? Je suis le représentant de notre souverain dans cette région. Je ne peux tolérer que Robin des Bois nargue l’autorité royale.
— Ne devrions-nous pas attendre Gisborne ?
— Gisborne fera ce qui lui chaut ! rétorqua Branwood d’une voix tranchante. Vous désiriez voir la chambre de Vechey, je crois ?
Corbett acquiesça et Branwood, congédiant les gardes autres que Naylor, les précéda dans un escalier à vis qui menait à l’étage. La chambre du défunt était toujours scellée et fermée à clé. Branwood brisa le cachet de cire, ouvrit la porte et s’effaça devant Corbett.
La pièce était dans un état aussi pitoyable que le reste du château. Un grand lit à baldaquin délabré, fermé par d’épaisses courtines de serge, occupait la place d’honneur. Un long coffre avec des barres de fer était placé à son pied. Une table, quelques tabourets, deux autres coffres complétaient l’ameublement avec, dans un coin, un imposant lavarium en chêne muni d’une vaste cuvette en étain. De l’autre côté de la chambre était dressé un lit de camp garni d’une paillasse et de couvertures en laine.
— C’est ici que dormait Lecroix ? demanda Corbett.
Sur la réponse affirmative du shérif, Corbett éparpilla, d’un coup de pied, la jonchéesale et s’immobilisa au centre de la pièce. On aurait dit une cellule monastique, tant elle était austère avec ses murs chaulés et ses trois archères pour seules ouvertures. Branwood alluma une lampe à huile de piètre qualité et la tendit au clerc qui s’approcha du lit et ouvrit les courtines. Les signes de négligence et de saleté n’étaient que trop évidents : la couleur de l’oreiller, des couvertures et des draps s’était depuis longtemps effacée sous la crasse. Branwood avait raison. Le manque de soin de Sir Eustace était plus que visible. Corbett passa tout au crible, mais ne remarqua rien à part l’odeur de sueur et de corps mal lavé. Il examina ensuite le gobelet contenant encore un peu de clairet, mais le vin paraissait bien inoffensif comme les quelques confiseries qui, restées dans une coupe d’étain au milieu de la table, faisaient le régal des mouches. Corbett fit appel à tout son courage : les yeux clos, il goba une friandise et la mâcha consciencieusement jusqu’à ce que sa douceur trop sucrée et pâteuse le dégoûte. Il alla cracher par l’une des meurtrières et s’essuya la bouche d’un revers de main.
— Ranulf ! Maltote ! Fouillez la jonchée ! ordonna-t-il.
Pendant qu’ils obtempéraient, il goûta l’eau croupie.
— Messire, s’écria Ranulf, il n’y a rien.
Corbett jeta un coup d’oeil découragé à Branwood.
— Vous avez raison, Sir Peter. Aucun objet suspect ici ! Alors comment Vechey a-t-il été empoisonné ?
— Je ne suis pas mire ! Ce devait être une substance fort nocive, d’après Maigret : de la jusquiame, de l’arsenic ou de la digitale.
Corbett prit le linge posé sur le lavarium : il portait des traces de doigts et le clerc retrouva l’odeur sucrée des friandises. Il se rappela les petites plaies aux commissures des lèvres du défunt.
— Que se passe-t-il, Ranulf, si tu t’essuies la bouche avec un linge et que tu as des croûtes ?
— Le linge les écorche la plupart du temps et elles se remettent à saigner.
— C’est indéniablement le cas de ce linge dont s’est servi Vechey. On y distingue des traces de sang.
Corbett eut un geste d’exaspération :
— Il n’y a rien ici, répéta-t-il. Dieu seul sait comment il a été assassiné.
— Allons ! Allons ! le tança Branwood, d’un ton presque jovial. Vous devez tomber de fatigue. Je vais vous faire visiter le reste du château et vous vous reposerez ensuite.
Corbett faillit refuser, mais il se dit que ces renseignements lui seraient utiles. À la suite de Branwood, ils montèrent les deux étages du donjon pour gagner le chemin de ronde. Là, debout près des créneaux, Branwood leur présenta les autres parties de la forteresse. Corbett ne lui prêtait qu’une oreille distraite : il savourait plutôt la caresse rafraîchissante de la brise vespérale et contemplait les prémices d’un magnifique coucher de soleil. Soudain, une phrase de l’assistant shérif capta son attention. Il suivit la
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