L'assassin de Sherwood
cheveux d’or et illuminé par des yeux d’un bleu profond.
— C’est à ses côtés que je devrais être, murmura-t-il. En route pour notre manoir de Leighton avec son oncle Morgan et notre petite Aliénor.
Il ouvrit ses fontes et en sortit son écritoire, puis disposa méticuleusement vélin, corne à encre, canif et plume. Il leva la tête vers Ranulf qui regardait par une des archères, la mine longue d’une aune.
— Allons ! dit Corbett d’une voix pressante, en s’asseyant. Attaquons-nous à tous ces mystères, hein !
Ranulf ne bougea pas. Corbett, agacé, prit alors sa plume et la trempa dans l’encre bleu-vert.
— Voyons d’abord l’affaire qui préoccupe notre roi, suggéra-t-il.
Il déroula le parchemin graisseux que son serviteur lui avait rapporté de Paris et l’aplanit délicatement ; ce parchemin, Bardolph l’avait payé de sa vie et Corbett, avec un sentiment de culpabilité, se rappela la visite qu’il avait rendue à la veuve, dans Grubble Street, près de Cripplegate. Le roi avait promis une rente à la malheureuse, mais elle n’avait fait que hurler et accabler le clerc de malédictions jusqu’à ce qu’il battît en retraite.
— Voyons ce pour quoi Bardolph a péri, décida-t-il à haute voix. Que veut dire ce message énigmatique : « Les trois rois vont à la tour des deux fous avec deux cavaliers » ?
Corbett le traduisit, puis, les yeux clos, essaya de se représenter la carte rudimentaire du nord de la France que lui avaient dessinée ses clercs à Westminster. Philippe le Bel y avait massé ses troupes : des dizaines de milliers de piétons, escadrons après escadrons de chevaliers en lourdes cottes de mailles, des chariots de ! ravitaillement. Les moissons faites, ses soldats envahiraient la Flandre. Mais à quel endroit ? Ce secret se dissimulait-il dans ce message ?
« Où tombera le coup ? s’interrogea Corbett. L’armée française s’abattra-t-elle sur le comté comme une énorme vague ou adoptera-t-elle une formation en fer de lance pour s’engouffrer sur une seule route et frapper une cité bien précise ? »
Les alliés flamands du roi Édouard l’avaient supplié, à maintes reprises, de leur envoyer ces renseignements. S’ils connaissaient l’itinéraire choisi par Philippe le Bel, ainsi que son plan de campagne, ils pourraient le contrer, mais leurs troupes étaient trop peu nombreuses, trop dispersées pour faire face à toutes les éventualités.
Le roi, à Westminster, avait été blême de rage ; Corbett s’en souvenait encore :
— Nous sommes comme un chat qui surveille un millier de trous de souris ! s’était-il écrié. Où ce damné Français va-t-il bien pouvoir lancer son attaque ?
Corbett avait réagi en exhortant sa myriade d’agents, infiltrés à Paris, à débusquer le secret. Ils étaient en possession du renseignement à présent, mais n’en comprenaient pas le sens.
— Mais quelle est donc sa signification ? avait rugi le roi. Par l’Enfer, quelle est sa signification ?
Corbett lui avait posément expliqué que le code était nouveau, mis au point par l’un des principaux clercs de Philippe. Seuls le monarque, ses plus proches conseillers et ses connétables sur la frontière devaient en posséder la clé.
— Pourquoi êtes-vous incapable de le déchiffrer, Corbett ? avait gémi le souverain.
— Parce que c’est la première fois que nous voyons quelque chose de semblable.
Le roi était entré dans une colère folle et l’avait singé. Corbett, gardant son calme, avait cité une célèbre maxime de logique :
— Sire, tout problème renferme les germes de sa propre solution.
— Alors, que Dieu soit loué ! avait grondé Édouard sans cesser de fixer Corbett de ses yeux injectés de sang, où se lisait presque la folie. Et même si vous déchiffrez le code, Corbett, Philippe sait que nous l’avons. Il pourrait en changer, ce maudit !
Corbett n’avait pas été de cet avis :
— C’est impossible, vous vous en doutez. Le dispositif militaire est déjà en place... un changement de plan entraînerait un chaos terrible. Le temps joue pour lui, il peut envahir le comté n’importe quand en juillet.
— Dans ce cas, avait menacé le roi, vous n’avez que quelques jours pour agir.
Corbett ferma les yeux. Juste avant son départ de Westminster, ses déductions s’étaient révélées exactes. Les Français avaient pris d’autres précautions en ce qui
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