L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
poli l’un envers l’autre. Mais je finirai par me sentir seul sans lui,
je l’inviterai et moins d’une semaine plus tard, ce bon vieux Buck sera là. On
a comme qui dirait une sorte d’accord. » Il leva les yeux vers Bob et se
tortilla dans son fauteuil. « C’est pour ça que je ne lui ai pas dit au
revoir.
— Je n’allais pas faire de commentaire à
ce propos. »
Jesse coula une main dans une boîte à biscuits
en métal sous le rocking-chair et brandit deux serpents ondulants sous le nez
de Bob.
« Ça t’a foutu la trouille ?
— J’ai juste été un peu surpris. »
Les serpents remuèrent leur langue fourchue et
agitèrent la tête de droite et de gauche comme s’ils cherchaient des proches au
milieu d’une foule.
« Ceux-là ne sont pas assez charnus à mon
goût et c’est l’enfer pour les vider, mais si tu les dépiautes et que tu les
fais frire dans de l’huile avec de l’ail – miséricorde, ce que c’est bon.
— Je n’ai jamais eu faim à ce point-là. »
Jesse laissa les serpents ramper sur ses
manches, flairer son gilet, puis redescendre dans les plis de son pantalon en
laine. Il déplia un canif pourvu d’une lame d’une dizaine de centimètres avec
laquelle il souleva la tête marron du plus foncé des deux serpents, qui se
déroba et glissa le long de sa cuisse.
« Il doit bien y avoir une douzaine de
ces bestioles dans le jardin. Parfois, le soir, je sors pieds nus et je les
écoute se carapater dans des endroits où ils se croient à l’abri. Et ensuite, je
les attrape avec mes orteils pour leur montrer qu’on n’échappe pas à Jesse
James. » Il orienta vers lui la tête de l’un des serpents avec le couteau
et déchiffra l’expression cruelle du reptile, qui se faufila sous la lame et
sinua jusqu’à son coude. « Je leur donne des noms.
— De quel genre ?
— D’ennemis. Je leur donne des noms d’ennemis. »
Il disposa avec soin les serpents sur le bras du fauteuil et les décapita avec
le canif. Leurs corps se recroquevillèrent et leurs queues battirent son
poignet. Il jeta les têtes dans l’herbe. « Va dire à Clarence et à Charley
de rassembler leurs affaires.
— Moi aussi ? »
Jesse décocha à Bob un regard acéré, puis se
radoucit : « Toi, tu peux rester. »
Cet avis de congé piqua Clarence Hite au vif
et il se chicana avec Bob quand celui-ci le réveilla de sa sieste.
« Je suis son cousin ! se
plaignit-il. Son père était le frère de…
— Ta mère, compléta Bob.
— Exactement ! Comment ça se fait
que c’est moi qui dois trisser ? »
Charley ensacha des navets et des courges qu’il
avait cueillis dans le potager.
« Connaissant Jess, c’est qu’il doit
avoir une sale corvée de derrière les fagots en réserve et c’est Bob l’innocent
qui va devoir se la fader.
— Je le ferai volontiers, assura Bob. Allez
savoir pourquoi. Je crois que je suis simplement quelqu’un de noble et de bien
intentionné. »
Clarence se mit à tousser et expectora dans
son mouchoir. Il contempla son crachat, puis s’essuya la bouche.
« Il aurait bien choisi Clarence, mais il
devait avoir peur de retrouver des glaviots dans sa soupe, railla Bob.
— En tout cas, riposta Clarence en
rempochant son mouchoir souillé, ce n’est pas pour ta bonne âme qu’il t’a
demandé de rester. »
Il cala ses pieds dans ses étriers en bois et
sortit de l’écurie à cheval tandis que Charley guidait sa jument hors de sa
stalle.
Jesse tenait les serpents au-dessus du bac à
compost et les laissait dégoutter sur des feuilles de maïs et des plantes
grimpantes.
« Clarence ? héla-t-il. Dis à ton
père que je serai dans le Kentucky en octobre et que je viendrai peut-être
tirer quelques oiseaux avec lui.
— Pourquoi Bob, lui, il a le droit de
rester ? protesta Clarence.
— Bob va déménager mon bazar un peu plus
loin dans une autre baraque. »
Charley fit un clin d’œil à son frère.
« Tu vois ?
— Ça ne me dérange pas, prétendit Bob (alors
que si). Ça s’annonce comme une véritable aventure. »
Il arracha un brin de vulpin qu’il dépouilla
de ses épillets avec les dents. Charley sauta sur sa jument.
« Si jamais tu as besoin de moi pour une
virée ou pour… faire de la fumée quelque part, on peut généralement me trouver
chez ma sœur – Mrs Martha Bolton – à sa propriété de Harbison », déclara-t-il
à Jesse.
Jesse hocha la tête et sourit.
« Je
Weitere Kostenlose Bücher