Le Bal Des Maudits - T 1
l’utiliserons pour défendre la ville. Je vais vous donner un conducteur allemand.
Hardenburg parla d oucement à l’Italien. L’Italien se mit à pleurer, mais il descendit de la voiture et se tint à côté du capitaine. Il avait pris son fusil avec lui, mais il le tenait tristement par le canon, laissant la crosse traîner dans la poussière et regardant désespérément les soldats trébuchants et les camions et les canons qui passaient devant lui. Il était visible que son fusil ne tuerait jamais personne.
– Nous ne tiendrons pas longtemps Marsa Matruh avec des troupes de ce genre, dit cruellement Hardenbur g.
– Évidemment, répliqua le capitaine. Évidemment non. C’est ridicule.
Il scruta la poussière et marqua sur sa feuille de papier les numéros de deux canons antitanks et d’un véhicule blindé qui venaient de ralentir en passant devant lui.
Il leur donna un conducteur de tank qui avait perdu son tank, et un pilote de Messerschmitt qui avait été abattu au-dessus de la ville, et leur dit de rejoindre Sollum le plus tôt possible. Il avait quelques raisons de penser que les choses pouvaient y être mieux organisées.
Le conducteur de tank était un gros paysan blond, qui tenait solidement son volant. Il rappelait à Christian le caporal Kraus, tué sur la route de Paris, en 1940, avec du jus de cerise sur les lèvres. Le pilote était jeune, mais chauve, avec un visage gris, affaissé, et un tic affreux qui, vingt fois par minute, faisait tressauter la commissure droite de ses lèvres.
– Je n’avais pas ça ce matin, répétait-il sans cesse. Je n’avais pas ça ce matin, et ça empire de seconde en seconde. Est-ce que c’est vraiment très laid ?
– Non, dit Christian, on le remarque à peine.
– J’ai été abattu par un Américain, disait le pilote, perplexe. Vous vous rendez compte. Le premier Américain que j’ai jamais vu.
Il secoua la tête, comme si le fait d’avoir été abattu par un Américain constituait un exemple de traîtrise jamais égalée.
– Je ne savais même pas qu’ils étaient là. Vous vous rendez compte !
Le paysan blond était un excellent conducteur. Il se faufilait entre les autres véhicules, et roulait à vive allure, sur la route coupée d’innombrables trous de bombes, le long des eaux brillantes de la Méditerranée ; de la Méditerranée qui s’étendait, paisible et fraîche, jusqu’à la Grèce, jusqu’à l’Italie, jusqu’à l’Europe…
Cela arriva le lendemain.
Ils avaient toujours leur voiture. Ils avaient rempli leur réservoir en prélevant de l’essence, avec un siphon, dans le réservoir d’un camion détruit abandonné sur le bord de la route, et ils se trouvaient à présent dans une longue colonne qui progressait par bonds sur la route menant du petit village disparu de Sulfura à l’escarpement de la Cyrénaïque. En bas, les fragments de murs luisaient d’un éclat blanc, autour du port en forme de trou de serrure, où les eaux brillaient, vertes et bleues, au sein de la terre brûlée. Des épaves reposaient dans l’eau calme, oscillant doucement au gré des vaguelettes.
Le tic du pilote était de plus en plus prononcé, et il insistait pour se regarder à chaque instant dans le rétroviseur. Il n’était pas encore parvenu à se rendre maître de son tic, et, la nuit précédente, avait hurlé chaque fois qu’il commençait à s’endormir. Il commençait à énerver sérieusement Hardenburg.
Mais un semblant d’ordre régnait, déjà, dans le port la ville était hérissée de canons antiaériens, deux bataillons d’infanterie creusaient des tranchées, à l’est, et un général avait été vu dans le port, peu de temps auparavant, marchant de long en large, agitant les bras et distribuant des ordres à la ronde.
Certains éléments blindés avaient été prélevés sur la longue colonne qui s’étendait derrière eux à perte de vue. On était en train de les rassembler derrière l’infanterie et de les réapprovisionner en munitions et en carburant. La plupart étaient intacts et appuieraient efficacement la défense de la ville.
Debout à l’arrière de la voiture, Hardenburg contemplait ces préparatifs. Il était parvenu à se raser, le matin, malgré sa température élevée. Ses lèvres craquelées étaient couvertes de plaies et de croûtes, mais un bandage propre barrait son front, et il avait, de nouveau, l’allure d’un soldat.
– Nous allons les arrêter ici,
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