Le Baptême de Judas
gésir quelque part dans les bois, la gorge ouverte, c’est que j’ai espoir que tu puisses les comprendre.
Ma patience ayant atteint ses limites, j’abattis mon poing sur la table sans que le vieillard ne sursaute, comme s’il s’y était attendu.
— Alors, par le cul velu de Satan, vas-tu me dire une fois pour toutes de quoi il retourne ?
Il revint s’asseoir, se pencha vers moi et, malgré son âge, je sentis la menace palpable qui émanait de lui.
— Avant d’aller plus loin, établissons clairement une chose, siffla-t-il. Ta vie, ainsi que celle de tes compagnons, dépend uniquement de mon bon vouloir.
— Je sais, tu me l’as déjà laissé entendre. Tu as la menace bien leste pour un vieillard gâteux. En cet instant même, je pourrais te tordre le cou sans que personne n’arrive à temps pour te secourir
— C’est vrai. Je suis vieux et malade et, crois-moi, je te serais reconnaissant de mettre fin à cette vie déjà bien trop longue. Mais cela ne te mènerait à rien. Tu ne sortirais pas d’ici vivant pour autant. Ta seule chance de survivre et de mener à bien ta mission réside dans mon approbation. Tes fanfaronnades n’y changeront rien.
Je haussai le sourcil, goûtant malgré moi la joute verbale, admirant l’équanimité et la vivacité d’esprit avec lesquelles il s’y livrait.
— Bon. Alors, instruis-moi. Après tout, il semble que j’aie tout mon temps.
De nouveau, Norbert soupira. Il avait soudain l’air de porter le poids du monde sur ses frêles épaules.
— Ce que je vais te révéler te fera amèrement regretter les trois dernières années de ta vie, Gondemar.
— J’ai déjà toutes les raisons du monde de le faire. Je ne vois pas ce que tu pourrais inventer de pire.
Il laissa échapper un rire triste.
— Il y a toujours pire, mon garçon. L’âge t’enseignera que tout est question de degré. Ce qu’on maudit dans sa jeunesse devient souvent la chose la plus précieuse quand elle nous a échappé et qu’on ne peut plus que la regretter. À l’inverse, celles qu’on a désirées de tout notre être nous paraissent soudain dérisoires et deviennent un terrible fardeau à porter.
Il glissa sa main dans le col de sa chemise et y saisit la chaînette que j’avais distraitement remarquée lorsque j’étais arrivé.
Il pencha la tête et la retira. Je notai qu’un petit médaillon en or y était suspendu. Il le prit entre le pouce et l’index et me le montra.
— Connais-tu ceci ? s’enquit-il.
J’observai l’objet, perplexe, car le médaillon était identique à celui que m’avait remis la mendiante, à Toulouse. Le sceau du Cancellarius Maximus, annoncé par les instructions au Magister, et dont je possédais l’unique exemplaire authentique.
Une fois la surprise passée, j’éclatai de rire en constatant combien Norbert, qui se drapait dans tant de mystères, était naïf. Depuis Gisors, personne n’avait jugé nécessaire de m’enlever mon propre médaillon. Peut-être pour me rappeler ma bêtise et mon humiliation. Contrarié, je fourrai à mon tour la main dans ma chemise pour en retirer le pendentif et le brandis sous le nez de Norbert.
— Me prends-tu vraiment pour un simplet ? sifflai-je. Seul le Cancellarius Maximus possède ce pendentif. Et il se trouve que c’est celui-ci, celui-là même que j’ai reçu de ses propres mains. Tes petits amis de Gisors ont eu l’occasion de bien le voir et il leur aura été facile de le faire reproduire. J’ignore ce que tu crois pouvoir accomplir, mais il faudra plus que ça pour m’impressionner.
Le vieillard ne parut nullement troublé par mes arguments.
— Je constate que tu possèdes toujours le médaillon de la mendiante de Toulouse, rétorqua-t-il sans perdre son calme.
Il ferma les yeux et se concentra pendant que je le regardais, un peu décontenancé.
— Si elle a obéi correctement aux ordres, elle t’a dit exactement ceci : la seconde part de la Vérité se trouve à Gisors. Dans une chapelle qui n’a jamais vu la Lumière. Suis la lignée de l’Ordre des Neuf. 3, 5 et 7. Les Ténèbres et la Lumière. Gare au vitriol et comprends la marque d'infamie de Jésus. C’est bien cela ?
Je lui jetai au visage un rire débonnaire.
— Et alors ? Cela ne prouve rien. Le moine Guillot nous accompagnait dans la chapelle et j’ai partagé avec lui, aussi bien qu’avec Pernelle et Ugolin, les
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