Le Baptême de Judas
cou, lorsqu’on frappa à la porte de ma cellule.
— Entrez, dis-je.
Pernelle se glissa dans la pièce et referma, puis vint s’asseoir sur le rebord de mon lit. Dans la faible lumière de la chandelle qui brûlait sur la petite table bancale, je vis à quel point elle était troublée.
— Tu n’es pas capable de dormir, toi non plus ? demandai-je.
Se réfugiant dans la pratique de sa science, elle prit ma
senestre et l’examina distraitement.
— Je songe sans cesse à Peirina, dit-elle. Je lui envie la paix qu’elle a trouvée. Je. je ne suis pas convaincue que ma foi soit aussi forte que la sienne.
— Toi, au moins, tu en as une, répondis-je sombrement.
Elle déplia mes doigts et les écarta pour examiner la plaie
maintenant bien fermée qu’avait faite l’épée de Payraud.
— Ça te fait mal ?
— Non.
— Tu sens quelque chose ?
— À peine.
— Tu peux serrer mon doigt ?
Je m’exécutai de mon mieux. Le résultat fut plus concluant qu’à l’habitude.
— Elle a retrouvé un peu de force. C’est bien. J’espère seulement que tu ne prévoyais pas apprendre à jouer du luth, essaya-t-elle de blaguer. Mais je suppose que si tu y places une épée, tu pourras toujours la tenir assez solidement.
Elle laissa ma main et me caressa les cheveux.
— Tu t’inquiètes pour Cécile ? s’enquit-elle.
— Je crains que Montfort ne tienne pas parole, répondis-je.
— Dieu a un plan pour chacun d’entre nous, Gondemar. Tu ne peux faire que de ton mieux. Il décidera du reste.
Elle me posa un baiser sur le front et sortit sans rien ajouter.
J’étais debout bien avant l’aube. J’avais une épée au côté et une dague dans ma ceinture. Par mesure de précaution, j’avais aussi glissé un stylet long et fin dans ma botte droite. Je me mouillai le visage pour chasser le peu de sommeil que j’avais réussi à trouver et me dirigeai vers la salle où l’on m’avait conduit à mon arrivée. Lorsque j’y entrai, le Cancellarius Maximus y était déjà, debout devant le feu qui ronflait, en train de se réchauffer. Il tourna la tête dans ma direction. Ses yeux étaient rougis et ses paupières lourdes.
— Tu n’as pas beaucoup dormi, on dirait, remarquai-je en me servant un peu de pain et de fromage à même l’assiette posée sur la table.
— L’âge est ingrat, répondit-il. Il nous prive même du réconfort du sommeil. L’oubli devient une chose impossible, ne serait-ce que pour quelques heures. Mais tu es bien matinal, toi aussi.
— Les années ne sont pas seules à nous priver de repos, dis-je. Une conscience trop lourde a le même effet.
— Sans compter l’anxiété d’avant le combat.
— Tu sais de quoi tu parles, on dirait.
— Je n’ai pas toujours été le vieil homme décrépit que tu connais. Jadis, comme toi, j’ai connu l’exaltation de la bataille et le plaisir de tuer. Maintenant, je me contente d’en donner l’ordre.
Je me laissai choir lourdement sur une chaise et me forçai à manger. Norbert abandonna la chaleur du feu et vint me rejoindre en s’enveloppant frileusement dans un lourd manteau de velours bourgogne qui avait vu de meilleurs jours. Jamais il ne m’avait paru si vieux, si fatigué. Il fit mine de prendre un bout de pain puis se ravisa et se versa une coupe de vin dont il avala aussitôt la moitié à grandes goulées. La chaleur de l’alcool sembla le revigorer un peu et lui redonna quelques couleurs.
— Mon temps tire à sa fin, Gondemar, dit-il. Bientôt, le pape sera convaincu d’avoir gagné et la parole de Yehohanan sera en sécurité. Je pourrai enfin me reposer. J’envie dame Peirina du plus profond de mon cœur. Ses tourments sont derrière elle.
Je me servis un peu de vin à mon tour et nous ne dîmes plus rien jusqu’à ce que les autres arrivent un à un. Chacun ressentait cette même fébrilité mêlée d’angoisse. Pernelle et Esclarmonde avaient le visage austère des Parfaites qui ont accepté l’inévitable et qui sont en paix avec elles-mêmes.
Au profit d’Eudes, nous récapitulâmes le plan que nous avions mis au point. Le Magister des Neuf écouta attentivement, ne posant qu’une question d’éclaircissement ici et là. Lorsque nous eûmes terminé, il tira de son pourpoint le tube de cuivre que je connaissais bien et le tendit à Odon.
— Tel qu’il a été
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